OWNI http://owni.fr News, Augmented Tue, 17 Sep 2013 12:04:49 +0000 http://wordpress.org/?v=2.9.2 fr hourly 1 Les Unes des quotidiens disséquées http://owni.fr/2011/08/06/dissection-des-couvertures-des-quotidiens/ http://owni.fr/2011/08/06/dissection-des-couvertures-des-quotidiens/#comments Sat, 06 Aug 2011 14:56:54 +0000 Erwann Gaucher http://owni.fr/?p=75525 Bon alors, ils ont quoi dans les tripes les rédacteurs en chef du Monde, du Figaro ou de Libération ? Sont-ils fabriqués dans le même moule ? S’intéressent-ils tous aux mêmes sujets ? Difficile à savoir sans pratiquer d’autopsie, et étrangement, les principaux intéressés n’ont pas l’air de vouloir se laisser approcher par un bistouri. Ne pouvant donc pas pratiquer selon les méthodes pourtant éprouvées de l’ami Dexter, il n’y a qu’une solution pour répondre à la question : passer au scanner leurs choix de Une. Bref, regarder de près le fruit de leurs entrailles.

Si la méthode est moins médicale, elle est riche d’enseignements journalistiques. C’est ainsi qu’il y a quelques mois, nous avions pu déceler les symptômes de sarkozyte aigüe, à tendance immobilière et franc-maçonne, qui frappait de plein fouet les rédacteurs en chef du Nouvel Obs, de L’Express et du Point.

Alors, docteur, quels ont été les sujets les plus traités, les plus mis en valeur par les trois principaux quotidiens nationaux français ? Une fois que l’on a épluché les 384 Unes du Monde, du Figaro et de Libé entre mars et juin dernier, quel est le diagnostic ? Les analyses du labo sont formelles. On retrouve les traces récurrentes des mêmes quatre principaux sujets, qui ont représenté la bagatelle de 242 titres en Une au total : le Japon, la Libye, DSK, et Ben Laden.

À votre avis, quel sujet est le plus revenu à la Une ? À vous de voter.

L’affaire DSK ? Vous y avez pensé, avouez-le mauvaises langues ! J’en soupçonne même un ou deux d’avoir commencé à affuter les arguments pour fustiger les médias qui, décidément, ne s’intéressent qu’au superflu pendant que le monde flambe. Eh bien non ! La fièvre DSK a certes touché l’ensemble de nos rédacteurs en chef, mais sans plus. Les analyses le prouvent, avec 42 mentions à la Une en quatre mois pour les trois journaux, son “taux d’occupation de Une” est nettement au-dessus de la moyenne, mais rien de mortel là-dedans.

Bien sûr, tous les patients ne sont pas égaux devant ce genre de virus. Ainsi Le Figaro semble avoir été nettement plus touché que ses confrères en plaçant 20 fois DSK à la Une devant Libération (13 fois) et Le Monde (9 fois).

Et ce n’est pas la seule surprise lorsque l’on regarde les résultats complets de l’autopsie :

Un grand merci à Agnès Stienne qui a résumé en un graphique (à droite sur l'image) mon long billet... Comme quoi, une mise en scène efficace vaut souvent mieux que quelques milliers de signes !

Même la mort de Ben Laden n’a finalement pas beaucoup touché nos rédacteurs en chef. Alors que tout semblait réuni pour faire de cette info un véritable virus de Une pendant des semaines et des semaines, la disparition de l’homme le plus recherché de la planète n’aura finalement été qu’un “bouton” rapidement disparu, une fièvre très passagère. Le Figaro n’y aura consacré que 6 titres de Unes au total, Libération 5 (dont un numéro spécial) et Le Monde 4…

L’incroyable succession de catastrophes ayant frappé le Japon, le bilan particulièrement lourd (10 000 morts et 17 000 disparus), la psychose nucléaire, tous les ingrédients étaient réunis pour en faire LE sujet n°1 de ces quatre mois. Et le score est en effet honorable, exceptionnel même par rapport à une année “normale” : 26 titres de Unes pour Le Monde, 23 pour Le Figaro et 13 pour Libération, auxquels il faut ajouter un numéro spécial Japon de Libé et un autre du Monde.

Mais le sujet champion toutes catégories de ce début d’année, la fièvre qui a véritablement touché nos rédacteurs en chef, c’est bel et bien le conflit libyen qui semble être monté directement aux cerveaux de nos patients. Si Libération en a beaucoup parlé en Une (21 fois en quatre mois), Le Monde (44) et surtout Le Figaro en ont proposé une couverture quasi non-stop en vitrine. Pour Le Figaro, on retrouve en effet les traces de quelques 61 titres de Une consacrés à la Libye sur les 96 analysées. En mars, par exemple, à une seule exception près (le vendredi 15), Le Figaro a toujours consacré au moins l’un de ses titres de Unes à la Libye. Impressionnant !

Et la poussée de fièvre a été aussi longue qu’intense, puisqu’elle a duré pendant les quatre mois passés en revue. Au total, chez nos amis du Figaro, la Libye a été à la Une près d’un jour sur deux sur cette période !

Comment expliquer cela ? Difficile… Bien sûr, il faut prendre en compte les différences mêmes de construction de Unes des trois quotidiens. Celle du Figaro proposant nettement plus de titres chaque jour que celle de Libération ou du Monde, il n’est pas étonnant que la récurrence de certains sujets y soit plus importante.

Application de la fameuse “loi” journalistique du mort-kilomètre ?

On pourrait imaginer qu’une sorte de “répartition” naturelle se fait entre les trois titres concurrents. Lorsque Le Figaro et Libération décident de monter en Une très, très souvent le conflit libyen, le quotidien du soir joue une petite musique différente en se consacrant plus au Japon (deux fois plus que Libé par exemple). On pourrait aussi penser que la fameuse et cynique loi du mort-kilomètre, que l’on enseigne dans toutes les écoles de journalisme, est toujours valable en 2011, tout du moins dans le cerveau des rédacteurs en chef. 1 600 morts à 3 000 kilomètres intéressent plus les journalistes que 10 000 morts 10 000 kilomètres.

Sans pouvoir donner un diagnostic simple expliquant tous ces choix (on n’est pas chez le Dr House ici, l’alchimie de la construction des Unes par une équipe au fil des mois est on ne peut plus complexe), se pencher sur ces différences de choix et de hiérarchisation d’une actualité foisonnante est intéressant.

Quand Libé utilise visiblement sa Une en misant sur l’événement qui efface tout le reste de l’actualité (Ben Laden, DSK ou le Japon seuls en Une avec une photo pleine page), Le Figaro semble vouloir jouer la carte de la fidélisation en feuilletonnant un maximum. Le Monde, lui, s’installe dans la durée, dans le droit de suite en étant le seul des trois quotidien à s’intéresser aussi longuement au Japon, avec encore trois sujets en Une au mois de mai (aucun pour Libé, un seul pour Le Figaro).

Cette autopsie permet au passage de relever quelques symptômes inattendus et bénins. Ainsi, Le Monde qui semble avoir fait une poussée d’antigalonnite à la mi-mars. Jusqu’au 14 mars, à chaque fois que le quotidien du soir évoque le leader libyen en Une, il titre ” le colonel Kadhafi “. À partir du 15 mars, le grade de celui-ci disparaît systématiquement pour faire place à un simple “Kadhafi “.

Le Figaro quant à lui, est le seul des trois patients a avoir montré des signes de sinclairose légère en mettant deux fois à la Une l’épouse de DSK (24 mai et 10 juin). Allez, on referme le frigo et on garde les spécimens au frais. Quelque chose me dit qu’il sera intéressant de continuer à les disséquer dans les mois à venir. Une pandémie du virus 2012 se profile à l’horizon…


Article initialement publié sur Cross Média Consulting sous le titre : “Autopsie des rédac’s chef de Libé, Le Monde, Le Figaro

Crédits Photo FlickR CC by-nc gelle.dk

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Vendredi c’est graphism S02E19! http://owni.fr/2011/05/13/vendredi-c-est-graphism-s02e19/ http://owni.fr/2011/05/13/vendredi-c-est-graphism-s02e19/#comments Fri, 13 May 2011 08:30:15 +0000 Geoffrey Dorne http://owni.fr/?p=62449

Bonjour et bon vendredi :)

Cette semaine fut encore une semaine de folie, entre La “Creative Week” d’Adobe (où j’ai eu la chance d’intervenir), entre les différentes nouveautés de Google I/O (avec quelques petites choses intéressantes en terme de design), entre le superbe Google Doodle qu’il ne fallait pas manquer, et toutes les autres actus, il fallait être attentif ! Alors, rien que pour vous, voici le condensé de la semaine !

Au programme, je vous propose des affiches de visualisation d’information mais tout en volumes, en papier et en couleurs, une réflexion sur LibreOffice qui recherche des designers, des oreilles de minou très kawaii, une application de visualisation de musique dans l’espace, un clip en pixels et… un WTF très capillaire !

Bon vendredi !

Geoffrey

On commence avec un grand plaisir pour les yeux, il s’agit d’une superbe série d’affiches ! Ce travail dépasse la simple affiche car c’est un travail qui, chaque mois, propose une affiche basée sur une visualisation de données en volume, en papier et souvent interactive ! Le travail de la typographie n’est pas non plus à plaindre, le tout est ludique et élégant à la fois. Ces créations epoustouflantes sont vraiment un modèle pour moi et questionne notamment le processus de conception et de l’exploration tactile grâce à la fabrication d’objets physiques. En effet, la visualisation interactive de données est souvent cantonnée au numérique et hélas, on ne questionne pas encore assez l’arrivée du papier dans tout cela. J’espère que vous apprécierez également.

source

Cette semaine j’avais également envie de vous partager cette annonce lancée par LibreOffice. LibreOffice est une suite bureautique, destinée aussi bien à un usage personnel que professionnel. Elle est compatible avec les principales autres suites bureautiques et elle offre toutes les fonctions attendues d’une telle suite : traitement de texte, tableur, présentation/diaporama, dessin, base de données… Bref, ce qui rend encore plus belle cette suite de programmes, c’est que LibreOffice est libre et gratuit !

Si vous êtes intéressé par l’expérience utilisateur et le design, LibreOffice recherche justement  à étoffer son équipe design afin de pouvoir continuer de travailler sur l’interface. Ils souhaitent lui donner une belle apparence et une intention ergonomique, pratique et visuelle. Je tiens à préciser que dans le monde du libre, la pénurie de ressource se fait souvent sentir sur certains projets et donc il est est extrêmement rare de voir une équipe prendre aussi soin du design et de l’expérience utilisateur.

Ainsi, LibreOffice cherche des gens capables de s’impliquer dans un ou plusieurs des domaines suivants:

  • L’expérience utilisateur (“UX, User Experience”). L’expérience utilisateur est très importante pour l’utilisation de LibreOffice car elle vise à renforcer également la productivité, la facilité d’utilisation et le plaisir. Elle vise à la fois le projet LibreOffice ainsi que le site web
  • La conception de l’identité visuelle. L’idée est de créer des choses visuelles magnifiques et intelligentes afin d’être utilisées dans LibreOffice, dans l’infrastructure web ou encore dans tout les aspectfs promotionnels du projet.
  • L’accessibilité. L’accessibilité a pour but de rendre le logiciel utilisable pour tout le monde… pour les utilisateurs lambras mais aussi pour les personnes qui ont des “besoins spéciaux”. Pour atteindre cet objectif ambitieux, LibreOffice met en œuvre bien des stratagèmes :-)

Bref, si vous êtes tentés, je ne peux que vous y encourager. En effet, pour avoir moi-même travaillé avec la fondation Mozilla, il faut savoir que l’esprit “libriste” (dans les projets libres) est très agréable, enrichissant et intéressant et vraiment très respectueux.

Si vous souhaitez contacter l’équipe de design, c’est par ici !

merci Avétis

Malgré les difficultés et les tragédies que le Japon a dû endurer ces derniers mois, cela ne les a pas empêché de prendre un peu de temps pour faire cette réalisation amusante qui aura fait le tour du web cette semaine. Il s’agit de Necomimi, un serre-tête avec des oreilles de chat que vous pouvez contrôler avec votre cerveau. C’est la société Neurowear qui produit le Necomimi et qui espère proposer une longue ligne d’accessoires de mode contrôlés mentalement. Bon, je ne parle pas japonais, mais s’ils cherchent un designer pour travailler sur leur projet, je suis partant ! En effet, outre le côté en apparence ludique, je trouve que c’est une façon différente de communiquer (très japonaise pour le coup), par le non-geste, en silence mais avec une expressivité technologique.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

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Toujours dans les actualités, j’ai le plaisir de vous présenter « Planetary », une toute nouvelle façon vraiment élégante pour explorer votre collection de musique. Disponible uniquement sur iPad, l’interface mime donc parfaitement un système solaire… Pour faire simple, les artistes sont des étoiles, les albums des planètes, les musiques des lunes et la façon dont vous filtrez et triez votre musique sera donc une… constellation ! Certe, la métaphore est poussée très loin et peut, peut-être ne pas être très pratique à l’usage. Cependant, le mérite est là, dans le visuel, l’intention et le résultat maitrisé

Cliquer ici pour voir la vidéo.

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Allez, on continue donc notre vendredi avec ce petit “Hello” de Martin Solveig. Une musique, une vidéo et un travail très graphique en pixel-art, rien de mieux pour apprécier le côté très vif et coloré de cet univers. Ainsi, la chanson “READY 2 GO” de Martin Solveig a été réalisée par Loïs de Cornulier & Benjamin Guillaume qui sont…des petits français ! Du plaisir pour les yeux donc, je vous laisse apprécier.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

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Pour finir, le WTF de cette semaine est placé sous le signe de la capillarité, de la racine, du peigne et des ciseaux.. vous l’aurez compris, on va s’intéresser aux devantures de nos chers coiffeurs français. Et oui, ils ont souvent l’humour fin (comm un cheveu) pour trouver des noms incroyablement originaux. Bref, un site a enfin été ouvert pour leur rendre hommage, ce site s’appelle Nos amis les LOLCoiffeurs :-)

Pour le mot de la fin, je vous invite ce soir à un Twunch de graphistes à Paris, je vous propose également de vous régaler devant les vidéos de l’adobelive, et n’oubliez pas non plus ce concours pour gagner un t-shirt graphique et écologique! Oh et commencez à poser votre week-end pour le fabuleux festival d’affiches de Chaumont !

Bon week-end ;-)

Geoffrey

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[vidéo] Séisme du Japon: comme une trainée de poudre sur Twitter http://owni.fr/2011/04/25/video-seisme-du-japon-comme-une-trainee-de-poudre-sur-twitter/ http://owni.fr/2011/04/25/video-seisme-du-japon-comme-une-trainee-de-poudre-sur-twitter/#comments Mon, 25 Apr 2011 11:42:29 +0000 Sabine Blanc http://owni.fr/?p=58985 Repérée par Global Voices, cette vidéo montre comment la nouvelle du tremblement de terre qui a frappé le Japon le 11 mars dernier a fait le tour de Twitter très vite. L’auteur, Rio Akasaka, qui étudie les interfaces homme-machine à l’Université de Stanford, s’est fondé sur l’utilisation du mot-clé « earthquake » pour élaborer ses infographies évoluant dans le temps. Les chiffres, qui ne concernent que les heures qui ont suivi les faits, sont impressionnants : ainsi, il a compté jusqu’à 2.300 tweets par minute. Le résultat est déjà impressionnant, imaginons ce que cela aurait donné s’il avait rajouté la traduction du terme dans chaque pays pour effectuer ses calculs.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Image Flickr AttributionShare Alike Kordian

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Robots: idées, espoirs et défis http://owni.fr/2011/04/22/robots-idees-espoirs-et-defis/ http://owni.fr/2011/04/22/robots-idees-espoirs-et-defis/#comments Fri, 22 Apr 2011 10:43:21 +0000 Laurent Haug http://owni.fr/?p=58618

Billet initialement publié sur OWNI.eu

Robolift [en] a été une conférence magnifique. Pendant trois jours entiers, les robots ont occupé le devant de la scène et toutes ces sessions ont fini par dessiner une image cohérente, à partir des idées principales et des questions autour de ce qui sera un marché majeur du futur. Voici un récapitulatif des principaux points abordés.

Nous pouvons créer des relations affectives avec les robots

Je suis un humain. Parfois il y a des choses auxquelles je crois contre toute logique. Pour moi les robots devaient être des objets avec lesquels nous prenions nos distances. Plusieurs conférenciers ont montré à quel point c’est faux : le robot Paro [en] a été un des exemples les plus frappants. Utilisés avec les malades atteints d’Alzheimer, ce phoque robotisé établit des relations authentiques avec les personnes qui l’utilisent (voir cette vidéo [en] choisissez « PARO pour les patients en Italie »). Au-delà de ces usages spécifiques, de nombreuses conférences ont montré la façon dont nous échangeons avec les robots, que ce soit des enfants aidant leur Roomba à nettoyer le sol de leur salle de bain, ou des gens donnant des surnoms à leurs robots et les considérant comme des membres de leur famille.

Cliquer ici pour voir la vidéo.

Comme Alexandra Deschamps-Sonsino [en] l’a souligné durant la séance des questions-réponses, « les robots sont des objets, et nous passons notre vie à créer des liens affectifs aux objets. Vous vous sentez triste si vous cassez un vase offert par votre mamie. C’est la même chose avec les robots, vous êtes en deuil quand ils ne fonctionnent plus. » Les robots sont juste des objets habituels, ma sensibilité et ma culture ont créé une distance curieuse avec cette notion, mais on peut en effet être attaché à eux d’un point de vue affectif.

Les robots n’ont pas vraiment besoin de ressembler à des robots

Pour faire court : les mouvements et les attitudes jouent plus que la forme. Cela ressortait clairement après avoir vu une dizaine de vidéos, comme celles présentées par Fumiya Iida [en]. Ses robots imitent les mouvements des animaux, et il est frappant de constater à quel point cela suffit pour être touché et établir un rapport avec eux. Vous oubliez complètement que vous regardez une pièce de métal et commencez à faire plein de parallèles avec des créatures en chair et en os. Vous vous engagez davantage que lorsque vous regardez des robots humanoïdes qui échouent toujours à recréer efficacement l’aspect humain.

Les robots peuvent faire des choses étonnantes, et des choses stupides

Nous avons vu un robot lanceur de balles, et un robot qui aide les malades d’alzheimer. Nous avons vu Aibo [en] apprendre à reconnaître des objets avec plus ou moins de succès, et des robots qui se battent en Afghanistan. Les lois universelles de l’innovation s’appliquent à la robotique : la technologie est neutre. Ils sont ce que les gens font avec eux, dans leur diversité.

Les robots nous rendent plus sociaux et ils nous rendent moins sociaux.

Un autre domaine dans lequel les robots sont comme les autres technologies (= neutres). Cynthia Breazeal [en] nous a parlé de la façon dont un robot pouvait permettre à une grand-mère de lire une histoire à ses petits-enfants, et donc d’accroître notre sociabilité, rendant possible des échanges qui auraient été sinon plus compliqués, moins amusants, ou impossible.
Mais les robots peuvent également être perçus de façon négative. Nous avons vu des enfants jouer avec leur Roomba mais pas avec les autres enfants. Attendez-vous à ce que beaucoup de gens disent : « les robots nous rendent plus solitaires, nous allons cesser d’échanger avec les humains. » Comme d’habitude, la vérité est nuancée : parfois les robots vont nous permettre d’agrandir notre horizon social, parfois, ils nous feront choisir de communiquer avec une machine plutôt qu’avec d’autres humains proches de nous physiquement.

Des questions restent en suspens sur l’éthique et le droit

La robotique est semblable à l’Internet en 1995. Un espace pour les hackers et les pionniers, qui commence à être reconnu par le milieu du business, avec une poignée de succès à son actif. Le problème (à moins que ce ne soit l’opportunité… ?) est que le domaine est trop jeune pour être encadré juridiquement par les gouvernements qui savent à peine ce qui se passent.
C’est donc à ces pionniers de s’autoréguler. Et nous sommes dans une période de grands questionnements.
Voulons-nous que les robots tuent ? Les drones sont utilisés par les hommes politiques car ils offrent une équation de « rêve » : le combat sans risque de victimes humaines, du moins du côté de l’armée du drone.
Le problème pour Noel Sharkey [en] : le « tampon » créé entre le combattant et le terrain, matérialisé par un délai de deux secondes entre la commande et sa concrétisation sur le terrain.

Apparemment, l’armée recrute la génération jeu vidéo avec des pubs du style « Vous êtes un bon combattant sur votre PS3 ? Venez nous rejoindre, nous avons un bon travail pour vous ! » La guerre civilisée a de nombreux principes, comme appliquer une réponse proportionnelle à une menace particulière. Des capacités de jugement que les robots ne sont pas encore capables d’atteindre (le seront-ils jamais ?), pourtant nous les employons dans nos guerres pour combattre, de façon croissante. Une autre question : qui est coupable si votre Google car écrase un chien sur un passage piéton ? Êtes-vous responsable parce que vous avez signé un contrat utilisateur de 500 pages que vous n’avez jamais lu ou est-ce que les programmeurs sont responsables ? Des quantités de questions sont sur la table, et il faudra sans doutes quelques décennies de débats législatifs et de jurisprudence avant d’avoir des réponses.

Les cultures appréhendent les robots de façon différente

Une des citations marquantes de la conférence est venu de Fujiko Suda [en] qui a répondu à ma question : « pourquoi les robots viennent de pays asiatiques comme le Japon ou la Corée ? » Il a répondu que les Japonais « n’ont pas peur de jouer à Dieu puisqu’ils en ont déjà 8 millions. » Il y a là une idée intéressante : notre culture façonne notre manière de percevoir les robots. Apparemment en Occident, nous considérons tous qu’il existe un être supérieur au-dessus de  nous, le seul autorisé à créer des créatures qui imite la vie à s’y méprendre. Les robots vont, du moins dans notre imagination, égaler un jour les humains dans l’apparence et l’intelligence. Peut-être nous dépasser et devenir hors de contrôle ?

Tout cela conditionne notre perception et nous rend plus nerveux que les Japonais qui voient Dieu dans de nombreux aspects de leur vie quotidienne. Quand ils construisent une machine, ils ne franchissent pas autant de barrières que nous, d’où leur adoption plus précoce de cette technologie. Ce n’est pas le seul facteur (une population âgée qui a besoin de soins en est une autre) mais il est important.

Les robots ont quelque chose à voir avec Dieu

Comme indiqué dans mon précédent billet, il a été question de Dieu un certain nombre fois, et il semble qu’il existe définitivement une relation entre les robots et la religion. Dominique Sciamma [en] a affirmé :

Les robots finiront le travail entamé par Nietzsche, et tueront Dieu.

Peut-être que l’invention et la création de quelque chose d’aussi sophistiqué et intelligent que les humains fera que les Chrétiens reconsidèreront le génie de Dieu ? Si un homme peut le faire…

Dans l’ensemble, les conférenciers ont tous présenté de très bons exposés. Félicitations à Nicolas et toute l’équipe de Lift qui a réalisé un super boulot. Comme Frédéric Kaplan [en] me l’a dit dans le train du retour, « il est rare d’assister à une conférence sur la robotique capable de rendre ce sujet aussi riche d’enseignements, tout en étant provoquant et divertissant. »

Billet publié sur le blog de Laurent Haug sur LiftLab ; traduction Sabine Blanc

Crédits images Flickr CC Dan Coulter, wonderfully complex and tsukubajin

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La résilience des économies face aux catastrophes naturelles http://owni.fr/2011/03/23/japon-resilience-economique-catastrophes/ http://owni.fr/2011/03/23/japon-resilience-economique-catastrophes/#comments Wed, 23 Mar 2011 07:29:59 +0000 Cyril Hedoin http://owni.fr/?p=52810 L’économiste français du XIXe siècle Frédéric Bastiat est essentiellement connu pour sa plume et sa capacité à exposer au grand jour les erreurs de raisonnement économique qui étaient communes à son époque… et qui le sont toujours aujourd’hui. Ce qui est connu sous le nom du sophisme de la vitre cassée est une des analyses les plus célèbres de Bastiat.

L’économiste français y réfute l’idée que la destruction de biens dans une économie est automatiquement bénéfique pour cette économie, puisque générant de l’activité pour remplacer les biens détruits. L’argument repose simplement sur l’idée de coût d’opportunité : une vitre cassée doit être remplacée, ce qui génère effectivement de l’activité et un revenu pour l’agent qui remplace la vitre. Mais les ressources dépensées pour remplacer la vitre (le coût de production pour le producteur ainsi que le prix payé par le demandeur) auraient pu être utilisées à d’autres fins plus bénéfiques pour l’économie.

L’occurrence de catastrophes naturelles comme le tremblement de terre au Japon est évidemment propice à des arguments reposant sur le sophisme de la vitre brisée. Après tout, l’économie japonaise qui est en crise depuis plus de 20 ans ne va-t-elle pas pouvoir se relancer par le biais de grands travaux de reconstruction ? J’avoue ne pas avoir entendu ces derniers jours cet argument fallacieux autant que je ne l’aurais pensé, si ce n’est chez Jean-Marc Sylvestre (mais est-ce vraiment surprenant ?). Cet article de James Surowiecki [en] montre cependant que l’impact des catastrophes naturelles sur l’économie est intéressant pour d’autres raisons que le sophisme de la vitre brisée. Surowiecki développe deux point différents mais complémentaires.

Premier point, même s’il est évident que l’économie japonaise va souffrir des répercussions du tremblement de terre, il est peu probable que l’activité économique soit affectée sur le long terme. Cela met en avant un aspect fondamental des économies de marché qui fonctionnent bien : leur résilience, c’est-à-dire leur capacité à s’adapter et à se réorganiser face à des chocs exogènes.

Les économies de marché sont ce que l’on appelle des « systèmes complexes adaptatifs » : précisément parce que le calcul d’ajustement n’est à la charge de personne en particulier mais de tout le monde en général, les économies de marché reposent sur des mécanismes d’adaptation décentralisés où chaque « module » (agent) se coordonne avec les autres par le biais de signaux synthétiques tels que le prix. Cette résilience est directement la conséquence d’une propriété de l’institution du marché soulignée par Hayek dès 1945 dans ce qui restera l’un des articles les plus importants de l’histoire de la discipline : le marché coordonne les actions en incitant tous les agents à révéler leur information privée concernant leurs préférences, leurs coûts de production, leurs anticipations etc. Ce faisant, le « marché » peut faire usage d’une information qui ne serait jamais à la disposition du planificateur.

Les pays en développement extrêmement vulnérables aux chocs exogènes

Tout ceci est très idéalisé mais n’est pas que théorique. Bien entendu, pour bien fonctionner, une économie de marché a besoin d’autres choses que de la seule institution du marché. Mais l’analyse des taux de croissance sur longue période des différents pays dans le monde fait ressortir un fait stylisé intéressant : ce qui caractérise les pays développés, ce n’est pas des taux de croissance particulièrement élevés. Même les pays très pauvres connaissent des taux de croissance très élevés (5 à 10%) certaines années.

La différence fondamentale est que les pays en développement sont extrêmement vulnérables aux chocs exogènes, ce qui se traduit par le fait que les années de croissance positive sont en moyenne neutralisées par des années de croissance négative. Dans leur ouvrage Violence and Social Order, North, Wallis et Weingast ont compilé quelques statistiques à ce sujet et les résultats sont éloquents. Entre 1950 et 2004, les pays avec un revenu moyen par habitant supérieur à 20.000$ (et sans pétrole) ont eu un taux de croissance positif dans 84% des cas. Ce taux baisse avec le revenu par habitant, pour tomber à 53% pour les pays les plus pauvres.

Bref, tous les pays ne sont pas égaux devant les catastrophes naturelles : là où Haïti va probablement mettre plus d’une décennie pour récupérer sur un plan économique du séisme de l’an passé, il est fort possible que le Japon, grâce à son économie de marché et à ses autres institutions, se rétablisse très rapidement.

Sortir du sentier pour accomplir un bond technologique et institutionnel

Le second point souligné par l’article de Surowiecki est plus surprenant mais est finalement tout à fait conforme à la représentation de l’économie comme un système complexe avec équilibres multiples : un choc exogène, par les destructions qu’il occasionne, peut permettre à une économie de sortir du sentier technologique et institutionnel dans lequel elle était enfermée et qui pouvait tout à fait être sous-optimal.

L’idée est simple et, d’après l’article de Surowiecki, semble être corroborée empiriquement : la dépendance au sentier [en] résulte du fait que les coûts consécutifs à un changement technologique ou institutionnel sont trop élevés par rapport aux bénéfices qu’ils apportent. La dépendance au sentier est souvent le résultat d’un problème de coordination : tout le monde serait mieux si on utilisait la technologie X, mais tant que les utilisateurs de la technologie Y dépassent une certaine masse critique, personne n’a intérêt à changer de technologie.

Cela est caractéristique de tout système complexe avec deux attracteurs stables ou plus : pour converger vers le second attracteur il faut sortir du bassin d’attraction du premier, ce qui souvent va requérir une action collective sous forme de coordination planifiée, et donc difficile à mettre en œuvre. Un choc exog

ène peut faciliter la transition : le capital détruit par la catastrophe naturelle doit de toute façon être remplacé, générant ainsi des coûts inévitables. Cela rend de fait le changement technologique (ou institutionnel) plus intéressant : si le coût individuel pour passer de la technologie Y à la technologie X était de c avec un bénéfice b et que c > b, alors le changement n’était pas intéressant.

Mais, si en raison de la catastrophe, le remplacement du capital correspondant à la technologie Y est c’, alors on voit que le changement de technologie devient intéressant dès lors que c – c’ < b (c’est à dire que le bénéfice lié au changement de technologie excède le coût de changement technologique moins le coût de remplacement du capital qui doit de toute façon être remplacé). Cela est encore plus vrai si la rentabilité d’une technologie dépend du nombre d’utilisateurs (parce qu’il y a des rendements croissants par exemple).

En conclusion, même s’il est faux de dire qu’une catastrophe naturelle « relance » une économie, toutes les économies ne sont pas aussi vulnérables face à des chocs exogènes et, dans certains cas, une catastrophe peut permettre le basculement d’un équilibre sous-optimal à un équilibre pareto-supérieur. Ce dernier point reste toutefois à mon avis à relativiser et est de toute façon difficilement maitrisable par les pouvoirs publics (je dis juste ça au cas où certains verraient dans les catastrophes naturelles un nouveau moyen de faire de la politique économique structurelle…).

Article initialement publié sur le blog Rationalité limitée

>> Illustrations flickr CC Douglas Sprott ; dugspr ; US Marines

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Fukushima : toi aussi relativise les dangers du nucléaire avec Jancovici http://owni.fr/2011/03/20/fukushima-toi-aussi-relativise-les-dangers-du-nucleaire-avec-jancovici/ http://owni.fr/2011/03/20/fukushima-toi-aussi-relativise-les-dangers-du-nucleaire-avec-jancovici/#comments Sun, 20 Mar 2011 12:30:17 +0000 Baptiste Rabourdin (ecoSapiens) http://owni.fr/?p=52382
Billet initalement publié sur OWNIpolitics.


Foin du statut de vache sacrée de Jean-Marc Jancovici, éternellement présenté comme l’expert « neutre» sur les questions de l’énergie.

Invité au journal télévisé de France 2 (je n’ai pas la télévision mais on m’a passé le lien Internet pour me dire « regarde, il y a négaWatt au 20h ! »), Jancovici est introduit ainsi par le présentateur David Pujadas : « ni un pro ni un anti-nucléaire ».

Diantre ! Nous verrons, si besoin est, qu’il n’en est rien. On ne sort pas de l’X, on est pas formateur à l’école des Mines Paris-Tech sans séquelles… Le site arrêtsurimages revient d’ailleurs sur ce glissement intellectuel pas anodin : quand on est neutre sur le nucléaire… on n’est pas contre !

Puisqu’on vous dit que ça n’a rien à voir avec Tchernobyl !

Comme Jancovici, je suis évidemment pour aller d’abord et surtout chercher des économies d’énergie. Tout le monde le dit car c’est le début de tout. 30% de gisements de négaWatts. Venons-en donc au point de désaccord: l’énergie résiduelle qu’il nous faut consommer. Et aussi cette sempiternelle et inexorable alternative entre nucléaire « décarboné » et vilaines usines à pétrole et charbon.

Là, on découvre tout de même que le cerveau de Janco (pour les intimes) sombre un peu dans le cartésianisme vulgaire et finit, pour le prestige de la démonstration, par mélanger choux et carottes. A trop vouloir sortir des chiffres, on oublie ce qu’il y a derrière.

Avant de m’adonner au bashing donc, je précise d’où je parle: je suis diplômé d’une grande école en physique (ça c’est pour éviter les coups bas style « obscurantiste» ) et suis devenu progressivement anti-nucléaire au fur et à mesure de mes études. Non pas pour des raisons techniques mais pour des raisons philosophiques. Eh oui, je fais partie de ces gens qui considèrent que la technique est un moyen et non une fin, qui doit être sous-tendue par une culture et une politique. Incroyable non ?

Selon une tribune accordée par Jancovici à Good Planet (avec un logo BNP Paribas en bonus) parallèle entre les deux catastrophe est faux, pour l’essentiel. Si un ou plusieurs réacteurs de la centrale fond, ils n’exploseront pas, les dégâts seront beaucoup plus localisés, et le bilan humain sera bien moindre que celui du tsunami. On ne pourrait pas comparer deux catastrophes sous prétexte qu’elles n’ont pas exactement les mêmes causes et a fortiori les mêmes conséquences. En plus, eh oh ! focalisez-vous plutôt sur le tsunami qui est le vrai problème et le plus mortel. Conclusion: il vaut mieux une catastrophe de Fukushima qu’un tsunami…

Je dis (sic) « le réacteur» mais ca concerne tous ceux de Fukushima, qui ont tous eux à peu près le même pépin.

1 – Une remarque sur les sources : que les antinucléaires aient, comme d’habitude, un avis définitif sur la base d’informations partielles et sans aucun recul est leur droit. Mais ils n’ont aucune raison d’avoir des informations primaires meilleures que celles des experts, au contraire : vous voyez un opérateur de centrales nucléaires japonais ou l’autorité de sûreté japonaise privilégier les antinucléaires français dans ses explications techniques ?

Les anti-nucléaires apprécieront d’être considérés comme des dogmatiques qui comme d’habitude (ils deviennent lassants à dire la même chose depuis 50 ans). J’aime beaucoup la délicatesse du « c’est leur droit» . Ils sont bornés, rabâcheurs et ignorants… mais c’est leur droit ! Et c’est bien connu, les experts ont de meilleurs informations que les non-experts. En parler à la CRIIRAD qui avaient de moins bonnes mesures de radioactivité que les officielles…

2 – Certes des centrales nucléaires ont été touchées, mais cela est aussi vrai de centrales à charbon ou de barrages (NdR : et très accessoirement le Japon est privé partiellement de transports routiers par défaut de fonctionnement de raffineries, manque de distribution de carburant et effondrement des routes, tout cela va empêcher les malades et les blessés d’être acheminés vers les hôpitaux, ce qui prouve bien qu’il faut sortir du pétrole qui fait des morts que l’on vous cache.)

On se demande vraiment pourquoi les médias ne parlent que des centrales nucléaires ! Il faudrait être équitable et évoquer tous ces dégâts ailleurs que sur les zones nucléaires. D’ailleurs, si le Japon était sorti du pétrole, il parviendrait à soigner ces blessés.

3 – A Fukushima, l’accident est arrivé par l’extérieur (et non par l’intérieur comme à Tchernobyl) alors que la réaction nucléaire avait été stoppée. Il ne s’agit pas d’un accident causé par un emballement de la réaction nucléaire (comme à Tchernobyl) mais d’un accident mécanique causé à une installation nucléaire mise à l’arrêt. Il n’y a donc aucun risque « d’explosion » comme je l’ai déjà entendu dans la bouche d’antinucléaires repris par les médias. Le risque est celui d’une absence d’évacuation de la chaleur résiduelle qui se dégage du coeur à cause de la radioactivité des produits de fission qui y sont présents, et d’une fonte du coeur qui libèrerait dans l’environnement proche des produits de fission gazeux (même dans ce cas, ça ne sera pas de nature à causer des morts par centaines).

Fukushima, Hiroshima, torchons, serviettes, choux et carottes

Leitmotiv: Fukushima et Tchernobyl ne sont pas exactement la même catastrophe. A partir de là, on peut effectivement tout dire.

4 – Fukushima ne pourra pas déboucher sur un scénario de type Tchernobyl. A Tchernobyl, ce qui a causé la dissémination de matières radioactives est essentiellement l’incendie des 600 tonnes de graphite que contenait le coeur (ce graphite servait de modérateur aux neutrons), incendie qui a entraîné dans l’atmosphère l’essentiel des produits de fission contenus dans le coeur. Cet incendie a pu avoir lieu parce que l’explosion d’hydrogène a eu lieu à l’intérieur de l’enceinte de confinement et a rompu cette dernière, et exposé le graphite à l’oxygène de l’air. A Fukushima, l’explosion d’hydrogène a eu lieu en dehors de l’enceinte de confinement du coeur. A l’instant où je tape ce message les matières radioactives sont donc toujours confinées dans la cuve, exception faite des lâchers de vapeur décrits dans la chronologie rappelée en pied de message.

Leitmotiv : Fukushima n’est pas Tchernobyl ! Compris ?

5 – Il n’y a rien de chimiquement combustible dans le coeur à Fukushima. Si le coeur fond (cette fonte sera causée par le dégagement de chaleur engendré par la radioactivité des produits de fission), soit il reste sur place dans la cuve qui résiste (et alors les conséquences sanitaires pour les populations sont à peu près nulles), soit il perce la cuve et à ce moment des produits de fission gazeux s’échappent (xenon, krypton, iode). En pareil cas la partie solide et les produits solubles (dont l’iode) fait une grosse bouillie pas sympathique mais qui reste sur place. Fukushima ne peut pas « exploser» au sens d’une explosion nucléaire comme à Hiroshima.

Leitmotiv : Fukushima n’est pas Hiroshima car Hiroshima était une explosion comme Tchernobyl. OK ?

6 – 25 ans après l’accident, les conséquences sanitaires documentées à Tchernobyl (par des médecins !) sont environ 50 morts par irradiation au sein des pompiers (je n’ai plus le chiffre exact en tête, mais c’est de cet ordre), environ 4000 cancers de la thyroïde chez les enfants au moment de l’accident (les risques semblent devenir infimes après 12 ans) qui feront de quelques dizaines à quelques centaines de morts selon la qualité des soins, et enfin le stress au sein de la population déplacée, aux conséquences mal évaluées. Mais il n’y a pas eu les 25.000 morts que je revois commencer à circuler partout ; ce chiffre correspond à un calcul bien particulier avec des hypothèses utilisées pour la radioprotection et qui n’ont pas pour objet de dénombrer des morts survenus « pour de vrai» (pour les explications techniques il me faut 3 pages, mais si d’aucun(e)s d’entre vous sont intéressés je peux voir ce que je peux faire…). Il n’y a pas plus eu de surplus de malformations, même si d’aucuns savants documentaires ont laissé croire le contraire.

Leitmotiv : Fukushima n’est pas Tchernobyl ! Vous le faîtes exprès ?

Et puis à Tchernobyl, il n’y a pas eu tant de morts comme ces idiots d’anti-nucléaires le colportent. Par contre, on ne doute pas que s’il y avait eu véritablement 25 000 morts, Jancovici aurait reconnu que les conséquences sanitaires furent graves à Tchernobyl. Pour un cerveau technicien comme le sien: 1 000 morts ca va. 25 000 morts ca va pas. Qu’on nous démontre pourquoi.

7 – De ce fait, il est difficile d’imaginer que l’accident de Fukushima, qui conduira à un relâchement de radioactivité dans l’environnement bien inférieur à celui de Tchernobyl même si le coeur fond et que le confinement est rompu (car à part les produits gazeux, notamment l’iode, l’essentiel de la radioactivité restera sur place) puisse changer significativement l’addition mortifère du tsunami. Parler de « 3è catastrophe possible» après le tremblement de terre et le tsunami est donc comparer des choux et des carottes.

Leitmotiv : Fukushima n’est pas Tchernobyl ! Toujours pas compris ? Et puis franchement. Franchement. Le séïme c’est une catastrophe. Le tsunami, c’est une catastrophe. Mais des explosions dans des réacteurs nucléaires et des fuites radioactives, ce n’est pas catastrophique. C’est la nature qui fait des catastrophes. Pas les industriels, voyons.

8 – L’IRSN indique avoir ponctuellement mesuré des débits de dose (externes) de 1 mSv/heure à l’extérieur immédiat du bâtiment réacteur 1, décroissant en quelques heures à moins de 0,05 mSv/h. Il faut savoir que quand on passe une radio médicale on reçoit en quelques secondes ou minutes entre 5 et 80 mSv d’irradiation externe. 1mSv/heure, sur quelques heures, c’est donc quelque chose qui ne fera pas des morts par millions…

Bon, les chiffres ont changé depuis l’article de Jancovici. Ce n’est plus 1mSv/heure mais 1500 msV/heure. On continue à comparer avec la radio du dentiste ?

9 – Si le confinement du coeur est rompu, c’est l’iode radioactif qui est la préoccupation principale. La demi-vie des isotopes va de quelques heures à quelques jours. La bonne réponse des autorités est ce qui a été fait : l’évacuation (qui n’a pas besoin de durer des années comme à Tchernobyl, et qui est une application normale du principe de précaution, ca serait quand même farce que ce principe disparaisse parce qu’il s’agit de nucléaire !) et l’administration d’iode « normale» . Cette dernière va aller saturer la thyroïde, qui du coup n’aura plus envie de fixer de l’iode radioactif (car le danger est d’avoir cette iode fixée pour longtemps dans la thyroïde, si l’iode rentre et ressort du corps ca ne provoque pas de conséquences sanitaires particulières).

Prenez la pastille verte et tout ira bien.

10 – le risque en France de conséquences de cette affaire est rigoureusement nul !!!

Mortalité : à quand un moratoire sur les tsunamis ?

Merci pour les trois points d’exclamation qui veulent bien dire ce qu’ils veulent dire. Imbéciles de Français, c’est vous qui êtes nuls. Cessez de gémir !

Mais le mieux est à venir. Voici tous les poncifs sortis du chapeau magique des pro-nucléaires. Attention les yeux ! C’est scientifique. Le monsieur qui nous invitait à ne pas mélanger choux et carottes va devant vos yeux ébahis montrer que TOUT fait plus de morts que le nucléaires ! Alors, hein ! qu’on interdise tout à ce moment là !

Et voici quelques autres chiffres pour remettre tout cela en perspective :

- le charbon fait un peu moins de 10.000 morts par an rien que dans les mines, et ceux là ils portent tous un nom, à la différence des morts supposés de la pollution ou des radiations qui sont calculés dans le cadre d’études épidémiologiques et qui sont donc anonymes (NdR : donc depuis Tchernobyl le charbon a fait environ 200.000 morts, l’équivalent du tsunami en Indonésie d’il y a 10 ans, pour une production électrique à peu près 3 fois supérieure à celle du nucléaire, qui, à ma connaissance, n’a pas fait 60.000 morts…)

Encore une fois, les tsunamis sont bien plus mortels que les centrales nucléaires. Il faut donc interdire les tsunamis…

- la voiture fait quelques centaines de milliers de morts par an dans le monde
- le tabac n’importe quoi (sic) entre 500.000 et 5 millions de morts par an,

Le monsieur qui a passé son temps à dire que l’on ne peut comparer Fukushima et Tchernobyl, n’hésite pas à comparer maintenant les morts du tabac et de la voiture avec ceux du nucléaire. Cherchez l’erreur. Voici donc un début d’argumentaire :

A VoitureLand, l’accident est arrivé par l’extérieur (et non par l’intérieur comme à NucléaireLand) alors que etc…
VoitureLand ne pourra pas déboucher sur un scénario de type TabacLand. A TabacLand, ce qui a causé la dissémination etc…

- pour le moment, les réacteurs japonais c’est quasi zéro [morts], et même dans le scénario du pire ca ne changera pas grand chose au bilan du séisme.

Ca devient lassant cette comparaison nombre de morts liés au séisme vs liés à la centrale nucléaire. Encore une fois, comment peut-on comparer puisque les morts liés à la catastrophe naturelle sont directs et immédiats alors que dans le cas de la radioactivité, cela est indirect (voire improuvable parfois !) et espacé dans le temps.

- le séisme a aussi détruit des centrales à charbon et au moins un barrage, donc la question est de savoir si on peut prévenir les dommages aux populations en cas d’accident industriel, pas de savoir si l’outil industriel doit pouvoir résister à tout, puisque cette suggestion ne semble venir à l’esprit de personne en ce qui concerne les raffineries, les routes, les aéroports et les barrages !

Pourquoi veut-on des centrales nucléaires plus sûres que des aéroports à la fin ?

- au risque d’en choquer certains, je ne vois pas en quoi il serait plus abominable de mourir irradié que noyé si un tsunami jette à bas logements et infrastructures, et endommage des centrales nucléaires.

Imparable !

Très accessoirement nous sommes à un stade de notre histoire sur les combustibles fossiles où les japonais (sic) auront le choix entre reconstruire du nucléaire et construire du gaz ou du charbon (oubliez les éoliennes pour tout remplacer, ça ne tient pas une seconde). Que doivent-ils choisir ?

Mon petit doigt me dit que pour Jancovici, la réponse est toute trouvée !

Billet initialement publié sur le blog d’ecoSapiens sous le titre Droit de réponse à Jancovici.

Photo FlickR CC : Toth God of Knowledge ; Pedro Moura Pinheiro ; Ian Line ; twicepix.

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Quand la fin du monde rattrape le Japon http://owni.fr/2011/03/19/quand-la-fin-du-monde-rattrape-le-japon/ http://owni.fr/2011/03/19/quand-la-fin-du-monde-rattrape-le-japon/#comments Sat, 19 Mar 2011 09:30:46 +0000 Jean-Noël Lafargue http://owni.fr/?p=52220 Ce qui me fascine en voyant défiler les tristes images du Japon dévasté par une catastrophe naturelle et menacé par un accident nucléaire, c’est à quel point elles me semblent familières. Malgré leur envergure exceptionnelle et leur brutalité, ces évènements, j’y avais déjà assisté, et les Japonais, plus encore que moi, tant les fictions qu’ils consomment regorgent de catastrophes de ce genre.

Katsuhiro Ōtomo, "Akira" (1982). La destruction de Neo-Tōkyō.

Nos journaux télévisés montrent à quel point les écoliers japonais sont entraînés à s’abriter sous leurs tables de classe dès qu’une secousse s’annonce. Ils évoquent aussi l’excellence des constructions anti-sismiques, en nous disant que les japonais sont toujours prêts à l’éventualité d’un tremblement de terre majeur ou d’un monstrueux tsunami. Mais cela va plus loin à mon avis. Par des récits de science-fiction surtout, les Japonais se sont aussi préparés psychologiquement. Et cette préparation par l’imaginaire fantastique n’a pas de destination pragmatique, elle ne dit pas comment se comporter pendant une catastrophe, elle établit la fatalité de la catastrophe.

"Godzilla vs Megalon" (1973), film de Jun Fukuda. Dans les films de la série Godzilla, le lézard géant et ses homologues Kaijūs (Gamera, Mothra, Rodan, Guidorah, Ebirah, Yonggary,...) incarnent souvent la vengeance de la nature malmenée par l'homme.

Bien entendu, pour produire des catastrophes crédibles, des récits “habités”, il faut aussi que l’idée de l’éventualité d’une fin du monde soit bien ancrée dans l’esprit des auteurs de ces récits, ils faut qu’ils y croient eux-mêmes pour y faire croire.

Tous les états de la peur

Marshall McLuhan disait que la bande dessinée est un média “froid”, c’est à dire un média qui réclame un effort conscient à son public et implique, en contrepartie, une certaine distanciation. Et ce n’est pas faux. J’ai pourtant connu un authentique sentiment d’effroi à la lecture de deux bandes dessinées, Dragon Head, par Minetarō Mochizuki et Ardeur (1980), par Alex et Daniel Varenne. Or ces deux séries sont des récits de fin du monde. Ardeur est un effrayant voyage dans une Europe ravagée par l’hiver nucléaire, écrit en plein “réchauffement” de la guerre froide. Je reparlerai peut-être un jour de cette série que je tiens pour un chef d’œuvre, du moins pour ses premiers tomes.

Minetarō Mochizuki, "Dragon Head" (1995)

Dans Dragon Head, un train se retrouve prisonnier d’un tunnel à la suite d’un séisme. Trois collégiens — deux garçons et une fille — survivent et essaient de quitter l’endroit et de comprendre ce qui est arrivé au Japon, apparemment victime d’une catastrophe majeure. Les divers protagonistes rencontrés au cours du récit connaissent tous les états de la peur : les uns se montrent pragmatiques, les autres basculent dans la folie complète. Personne ne sait rien, le pays entier est plongé dans les ténèbres, isolé du reste du monde.

"Ponyo sur la Falaise" (Hayao Miyazaki, 2009)

Même Ponyo sur la falaise (2009), de Hayao Miyazaki, qui a les apparences d’un conte pour enfants inspiré de la petite sirène d’Andersen, et qui est souvent présenté comme un des films les plus légers de son auteur, constitue à mon avis une lugubre évocation de l’absence, de la mort, du désastre, et de la violence du rapport de l’homme à la nature. L’héroïne qui donne son titre au film est la cause d’un tsunami qui noie une petite ville côtière. Si le spectateur choisira de croire que les pensionnaires d’une maison de retraite immergée sont sauvés de la noyade par un abri sous-marin plus ou moins magique, il n’est pas interdit de ne voir dans cette intervention qu’une fantaisie consolatrice.

Et nous?

Je trouve intéressante l’image qui suit, enregistrée sur une chaîne d’informations en continu il y a quelques heures. Confronté à l’impensable, le témoin des effets du désastre se sent projeté dans la fiction :

"Est-ce que c'est un rêve ? J'ai l'impression d'être dans un film ou quelque chose comme ça. Quand je suis seul je dois me pincer la joue pour vérifier si c'est bien réel" (un habitant de la ville de Rikuzentakata).

On pourrait bien sûr parler aussi de la manière dont les Américains, autres familiers des catastrophes (tornades, séismes, inondations), ont toute une production cinématographique notamment, autour de ce thème. Ce qui ne concerne pas que les désastres naturels, d’ailleurs : l’accident de la centrale de Three Miles Island avait été décrit par avance dans le film Le Syndrome Chinois, et on aurait du mal à dénombrer toutes les images prémonitoires des attentats du 11 Septembre 2001 qui ont été inventées pour des fictions.

Et ici, en France, au fait ? À quoi nous préparons-nous ?
À quoi ne nous préparons-nous pas ?

(article que je dédie à Julien, Claude et Hajime)

Billet initialement publié sur Le dernier blog

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Crédits photo: Flickr CC DVIDSHUB

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Pour en finir avec la discipline japonaise http://owni.fr/2011/03/16/pour-en-finir-avec-la-discipline-japonaise/ http://owni.fr/2011/03/16/pour-en-finir-avec-la-discipline-japonaise/#comments Wed, 16 Mar 2011 17:31:35 +0000 Olivier Tesquet http://owni.fr/?p=51784 Le 25 novembre 1970, Yukio Mishima, monument de la littérature japonaise, auteur de la Mer de la fertilité, se donne la mort par seppuku sous les yeux médusés de quelques dizaines de militaires. Après une tentative ratée de coup d’Etat qui tenait plus du testament esthétique que du calcul politique, l’écrivain nationaliste fait couler son propre sang au siège des forces d’autodéfense. Avant d’être décapité par un kaishakunin de fortune (comme le veut le rituel), il clame une dernière fois son amour pour l’empereur, sanglé dans son uniforme.

Nombreux sont ceux qui pensent que le suicide de Mishima est hautement symbolique de la psyché nipponne: il serait la rémanence des pratiques de certains soldats – parfois même des civils – préférant la mort à la capitulation pendant la Deuxième guerre mondiale, durant la bataille de Saipan par exemple. Au fil des décennies, cette image sacrificielle a perduré. Avec la catastrophe qui frappe l’archipel depuis quelques jours, elle se dilue dans une commisération déplacée. “Les kamikazes du nucléaire sacrifient leur vie”, titrait mardi 15 mars Le Figaro en évoquant les liquidateurs de la centrale de Fukushima. Comme si les cinquante techniciens qui essaient tant bien que mal de rétablir la situation allaient précipiter des hélicoptères chargés d’eau sur les parois de l’enceinte de confinement. Ridicule. Et faux.

Culture du risque

À lire ces analogies, il existerait un déterminisme japonais, une conscience collective de la discipline, du calme et de la rigueur, qui se manifesterait autant dans le quotidien des keiretsu que dans la fureur d’un événement cataclysmique. Pire, cet élément structurant caractériserait autant l’île que Sony, Toyota ou Yellow Magic Orchestra (les Kraftwerk locaux). Dans les heures qui ont suivi le séisme d’une magnitude de 8,9, l’un des plus importants du siècle, les médias ont presque unanimement loué l’organisation nipponne, l’absence de panique, de pillages, de mouvements de foules. Idem après le tsunami. Et quand survient un incident nucléaire de niveau 6, probablement le plus grave depuis Tchernobyl, ils chantent encore les louanges d’un peuple serein face à l’apocalypse, comme si 127 millions d’habitants allaient attendre stoïquement la fin du monde, les mains jointes et le port altier.

Mais ce n’est pas un quelconque esprit de corps qui est inscrit au patrimoine génétique des Japonais, c’est la culture du risque qui est inhérente à la géographie du pays. Ou alors, est-ce une culture de la catastrophe, distinguo intéressant fait par Slate.fr ?

La culture de la catastrophe, ou culture du danger, a un côté fataliste au sens où elle suppose que les catastrophes se produiront de toute façon et qu’il faut les accepter, alors que la culture du risque est à l’opposé même de l’acceptation.

Qu’ils habitent Tokyo, Sapporo ou Okinawa, tous les Japonais sont préparés aux caprices de la nature, comme en témoignent les séries d’exercices antisismiques menés chaque année. Sensibilisés dès le plus jeune âge, les habitants ont moins développé un sentiment de résignation qu’une capacité de résilience. Dans Le Monde du 16 mars, Hayao Miyazaki, le célèbre réalisateur du studio Ghibli, explique très simplement ce phénomène, et dégonfle la charge quasi-mythologique des analyses :

Il y a beaucoup de typhons, de tremblements de terre au Japon. Il ne sert à rien de faire passer ces désastres naturels pour des événements maléfiques. Ils font partie des données du monde dans lequel nous vivons. Je suis toujours ému quand je viens à Venise, de voir que, dans cette cité qui s’enfonce dans la mer, les gens continuent de vivre comme si de rien n’était. C’est une des données de leur vie. De même, au Japon, les gens ont une perception différente des désastres naturels.

Exaltation du patriotisme

Quand Philippe Pelletier, géographe à l’université de Lyon-II et spécialiste du Japon, estime que le pays “donne une leçon de sang-froid”, l’article ne peut s’empêcher d’étoffer son verbatim d’une lecture légèrement biaisée, dont la formulation exalte une sorte de patriotisme qui oblitère l’individu. “Face à l’épreuve, les Nippons respectent à la lettre les consignes, et se soumettent au destin avec un civisme et une entraide qui forcent l’admiration”, peut-on lire. Bien sûr, une telle appréciation témoigne d’une empathie certaine à l’égard des Japonais, mais elle tend à faire croire que ceux-ci s’en remettent à l’intérêt supérieur de la nation plutôt que de s’abandonner à la peur.

C’est probablement une erreur. A l’instar de cet expatrié français qui exprime sa colère contre des autorités dont la communication se fait chaque jour plus erratique, un nombre croissant d’habitants de l’archipel s’inquiètent de l’évolution de la situation. Hier soir, un de mes amis tokyoïtes exprimait une opinion que peu de commentateurs semblent avoir prévu dans leurs calculs prédictifs : “J’ai envie de quitter le pays”.

Quelques minutes avant l’effondrement de la vague et le déferlement du tsunami, les municipalités côtières ont déclenché l’évacuation des habitants. Sur place, plusieurs envoyés spéciaux ont recueilli les témoignages d’un homme, d’une femme, d’un fils ou d’une petite fille ayant dû se résoudre à laisser les moins valides derrière eux. Sur les diaporamas proposés par le Big Picture du Boston Globe, l’immense majorité des cadavres laissent apparaître la main ou le pied légèrement flétri d’une personne âgée. Certains témoins le reconnaissent, “les gens ne faisaient pas attention au sort des autres”. De quoi fissurer quelques préjugés. Mais qui osera les blâmer ?

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Crédits photo: Flickr CC Leo-setä, Leo-setä

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#3 – Les sacrifiés de Fukushima n’appartiennent déjà plus à ce monde http://owni.fr/2011/03/16/les-sacrifies-de-fukushima-appartiennent-deja-plus-a-ce-monde/ http://owni.fr/2011/03/16/les-sacrifies-de-fukushima-appartiennent-deja-plus-a-ce-monde/#comments Wed, 16 Mar 2011 17:23:51 +0000 Loic H. Rechi http://owni.fr/?p=51776 A l’aube de la seconde décennie du XXIe siècle, suivre l’évolution de l’information minute par minute  est devenu la cocaïne du peuple. Depuis samedi matin et les premières alertes en provenance de la centrale nucléaire de Fukushima, une sorte de communion informationnelle s’est opérée, minute après minute. Dans les heures qui ont suivi les premières annonces, à un moment où il était encore impossible de mesurer toute la dimension du drame en train de s’écrire, la peur et l’incrédulité ont rapidement fait place à des considérations tristement terre à terre et manichéennes. Les uns – opportunistes – se sont ainsi accaparés la pièce en train de se jouer pour dénoncer les sempiternels risques liés à l’utilisation du nucléaire, là où les autres – monomaniaques – n’ont pu s’empêcher de tacler leurs petits camarades, simulant de s’offusquer qu’ils puissent instrumentaliser une catastrophe. En réalité, tout ce petit monde plongeait la tête la première dans leurs travers traditionnels et autocentrés, ramenant la marche du monde à leurs petites querelles merdiques et quotidiennes.

Les jours passant et l’apocalypse perdurant, les saines craintes initiales de l’individu lambda – à commencer par les miennes – ont progressivement changé de visage, migrant vers un sentiment moins avouable, probablement qualifiable de curiosité morbide. Le séisme japonais cristallise en fait à lui tout seul l’égoïsme, cette fange dans laquelle on se complait tous. A la différence du séisme survenu un an plus tôt en Haïti, l’empathie dont on fait preuve atteint des niveaux ridiculement bas, explosant par contre sur la jauge du jemenfoutisme. Le Japon est un pays qu’on s’est toujours plu à observer comme un cabinet de curiosités. Mais en raison de sa qualité de nation économiquement prospère, l’emprise des bons sentiments judéo-chrétiens a été nettement moins forte, en témoigne l’absence de matraquage pour l’appel aux dons. Et puis soyons honnête, en vivant dans un pays quasiment insensibilisé aux catastrophes sismiques, il nous apparait bien difficile encore une fois d’assimiler la douleur qui secoue le pays du soleil du levant.

Indéniablement pourtant, le facteur nucléaire est venu bouleverser la donne. Dans un premier temps, la classe politique a été  prompte à récupérer le drame à des fins personnelles. Comment reprocher aux écologistes de profiter de la situation quand on sait que c’est autour de la crainte que surviennent ces atroces évènements qu’ils se sont constitués? Je comprends également que le gouvernement veuille rassurer la population en surfant sur la vague d’émotion et en se lançant dans un grand audit de nos centrales. Je méprise évidemment ce crétin Sarkozy quand il joue les populistes assertant que nous possédons la centrale la plus sûre du monde avec l’EPR, quand on sait qu’une centrale toujours en service comme celle de Fessenheim dans le Haut-Rhin a été mise en  service en 1977. Et comment ne pas mésestimer encore encore plus cet individu quand il ramène cette tragédie sur le plan économique, reprochant insidieusement ces derniers jours à des pays comme le Qatar de ne pas avoir acheté des centrales françaises, jugées trop chères.

Toujours est-il que c’est sur ce ressort précis, cette hantise du cataclysme nucléaire que l’empathie du grand public est venue se figer. La raison en est éminemment simple. Si l’on est relativement à l’abri d’un tremblement de terre ou d’un tsunami en France, il en va autrement dans le cas où une masse inodore, incolore mais salement radioactive se mettait en tête de faire le tour du monde pour venir nous emmerder et se fixer sur nos petites thyroïdes de Français.

Surtout, l’empathie a complètement explosé quand le drame de la centrale de Fukushima a fini par s’humaniser. On aura beau nous matraquer le cerveau à coups de schémas, de vocabulaire technique, d’explications simplifiées à base de millisieverts par heure et de turbines dans le cul, tout ça ne restera que des concepts plus ou moins opaques au service de la compréhension collective. Si on n’a aucune idée de ce à quoi ressemble concrètement une barre de combustible nucléaire, il en va autrement de l’humain. Un humain employé dans une centrale nucléaire, on arrive tous à intégrer sans mal qu’il s’agit d’une tête, de deux bras, de deux jambes, de tout un tas d’organes et d’une famille derrière. Quand cinquante d’entre eux ont pris le parti de laisser partir plusieurs centaines de collègues, décidant de rester pour tenter d’arrêter les caprices de cette folle construction humaine, au péril de leur vie, l’histoire a pris un tour homérique. Le récit d’une minorité qui se sacrifie pour la majorité, voilà ce que le monde a envie de retenir dans cette affaire.

Pourtant, à l’heure où on a encore le nez en plein dedans, il est difficile d’en juger les motifs tant les éléments viennent à manquer. Au courage indéniable se mêle peut-être également un sentiment de culpabilité, celui de ne pas avoir écouté le sismologue Ishibashi Katsuhiko qui avait lancé une alerte en 2006 sur le risque d’un scénario similaire en cas de tremblement de terre ravageur. Mais c’est sans doute aussi le désespoir et le sens du devoir qui disputent à cette culpabilité. La désolation qui confine à la folie. Ces volontaires expérimentent une malformation du syndrome de Stockholm, prisonnier volontaire d’un geôlier de béton, d’une centrale qui deviendra probablement leur tombeau moral si ce n’est physique. Les cinquante hommes qui se relaient au chevet de la machine, le teint blanchi par l’insomnie, les mains tremblantes du stress qui les emplit, ne sont déjà plus des hommes comme vous et moi. En raison du taux de radiation qu’on peut supposer qu’ils ont déjà encaissé, on se doute que dans le meilleur des cas, ils passeront les mois qui viennent confinés dans des hôpitaux, les organes internes dégoulinant de sang et la moelle osseuse disparaissant de leurs colonnes, irradiés comme un glaçon fond irrémissiblement au soleil. Dans le pire des cas comme le martelait, emprunt d’une horreur palpable, le professeur Patrick Gourmelon, directeur de la radioprotection de l’homme (DRPH) face à une Laurence Ferrari dépassée – comme nous tous – devant le drame qui s’écrit minute après minute, ils perdront sans doute la vie, dans des conditions atroces, réduits en poussière par la puissance des éléments. Mais quand bien même ils en sortiraient indemnes, ces hommes ne seront plus jamais comme vous et moi. Ils auront expérimenté le poids de jouer à Dieu, de choisir de sacrifier leur vie, de briser leur famille, dans l’espoir de sauver le plus grand nombre. Ces cinquante hommes ont déjà éprouvé le dilemme ultime, celui que personne ne souhaiterait jamais, celui qui sous-tend l’histoire même de l’humanité. Non, définitivement, ils ne sont plus de notre monde.

C’est désormais vers l’infamie des images des liquidateurs de Tchernobyl que se tournent tous les regards, c’est le poids du désarroi de l’échec humain à dompter la nature qui flotte aujourd’hui au dessus de toutes les consciences.  L’issue de ce scénario calamiteux demeure encore incertain. Quelqu’en soit l’acte final, l’inconscience ne pourra être brandie pour justifier l’héroïsme de ces cinquante être humains disposant d’instruments pour mesurer les taux d’émissions radioactives et de facto les risques auxquels ils s’exposent. Leur libre-arbitre, lui, restera pour longtemps le symbole de la grandeur de leurs actes, celui d’individus ordinaires s’étant sacrifiés pour le bien collectif.

Crédits photos CC FlickR par Eudoxus, BBCWorldService

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Un AZF nucléaire est possible en France http://owni.fr/2011/03/16/un-azf-nucleaire-est-possible-en-france/ http://owni.fr/2011/03/16/un-azf-nucleaire-est-possible-en-france/#comments Wed, 16 Mar 2011 11:17:42 +0000 Eric Ouzounian http://owni.fr/?p=51730 Eric Ouzounian est journaliste. Il est l’auteur du livre Vers un Tchernobyl Français? (Nouveau Monde Editions, 2008)

Même les scientistes les plus extrémistes en conviennent, le risque zéro n’existe pas en matière nucléaire. Au Japon, il est particulièrement important. L’archipel nippon est situé au confluent de quatre plaques tectoniques, et on y enregistre 20% des séismes les plus violents de la planète. Les centrales nucléaires situées au bord de la mer ne pouvaient résister à un tsunami de cette violence, et aucune mesure de sécurité n’était capable d’empêcher un accident de l’ampleur de celui qui se déroule à Fukushima. Le risque a été délibérément sous estimé par les autorités japonaises, qui n’ont jamais vérifié sérieusement les affirmations de l’opérateur japonais TEPCO, pour d’évidentes raisons économiques.

En France, le risque sismique est bien moindre. Les antinucléaires évoquent pourtant des situations potentiellement dangereuses à Fessenheim ou Cadarache et surtout, il est maintenant avéré qu’EDF a sciemment minoré ce risque en se fondant sur d’autres chiffres que ceux qui figurent dans la base SisFrance, qui sert de référence. La loi fait pourtant obligation à l’ASN (Autorité de Sureté Nucléaire) de définir et d’actualiser les règles fondamentales de sécurité (RFS). L’ASN détermine le séisme de référence et doit contrôler qu’EDF rend ses centrales conformes aux normes édictées. Or, l’attitude d’EDF est étrange. Pourquoi avoir fourni des chiffres tendancieux sur la réalité des risques ? Pourquoi avoir tenté de passer outre les avis des experts de l’IRSN (Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire) ? Les coûts envisagés pour mettre à jour la sécurisation des centrales seraient extrêmement lourds et si EDF ment, pour des raisons d’économies, sur un risque où elle n’a pas grand-chose à craindre, quelle crédibilité peut on lui donner sur des types de risques autrement plus élevés ?

La France compte 58 centrales nucléaires qui produisent plus de 80% de l’électricité et permettent au consommateur Français de payer l’une des factures les moins chères du monde. En trois décennies, aucun accident d’envergure ne s’est produit, la technologie française est reconnue pour sa sureté, et son savoir faire s’exporte aux 4 coins du monde. Pourtant, si depuis 30 ans, aucun accident majeur ne s’est produit, c’est parce que les procédures de sureté mises en place par le CEA dans les années 60 et 70 ont été scrupuleusement respectées et que le matériel était récent. Or le parc nucléaire est vieillissant et il se dégrade lentement, faute d’un entretien suffisant. Les restrictions budgétaires font que les procédures routinières de sécurité ne sont plus systématiquement effectuées. La sous-traitance a augmenté de manière inflationniste, les personnels non statutaires sont moins bien formés et travaillent dans des conditions de stress inquiétantes.

Le tournant financier

Ce point est le plus alarmant. La maintenance est pratiquement entièrement externalisée. Lors des arrêts de tranche (rechargement en combustible), la pression est très forte pour que les délais soient respectés et que les centrales se remettent à tourner au plus vite. Les sociétés sous-traitantes reportent la pression sur les intérimaires qu’ils emploient et la souplesse de ces derniers est un élément clé de leur emploi.

Il faut accepter de travailler le samedi et le dimanche et ceux qui refusent risquent leur job. Quand un prestataire commence un travail sur un lieu donné, EDF ne tient aucun compte du fait que le salarié peut effectuer un trajet de 500 km pour s’y rendre. Il doit quitter sa famille le dimanche après midi et l’ambiance le lundi à l’embauche est tendue. La prise d’antidépresseurs est courante, la consommation d’alcool et de cannabis également. Les employés viennent souvent avec des caravanes et se retrouvent au camping. Parce que les frais journaliers ne dépassent pas 53 euros et qu’avec cette somme, il est impossible de se nourrir et de se loger. Un employé de la centrale de Bugey confiait récemment :

A ce compte là, il ne faut pas se demander si un accident va arriver, mais quand il va survenir.

De son côté EDF assure que le seul critère pour sélectionner ses prestataires est celui du mieux disant en matière de sécurité. Cependant les salariés sur le terrain, comme les représentants syndicaux au sein des CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), constatent chaque jour que les sous-traitants retenus le sont parce qu’ils présentent des devis moins élevés. Dans son rapport annuel de 2009, l’ASN d’ailleurs avait exigé d’EDF de réaliser des progrès à ce sujet.

Lorsqu’ EDF est créée le 8 avril 1946, son rôle est de produire de l’électricité au moindre coût pour les français. C’est au cours des années 90 que la question de la répartition des bénéfices que dégage l’entreprise nationale commence à être évoquée. L’Etat, dont l’endettement devient inquiétant, exige une meilleure rémunération. Ensuite, l’ouverture du capital et la transformation du statut d’EDF amènent la société à mettre en tête de ses objectifs la croissance des bénéfices dans les années 2000.

EDF passe en 2004 du statut d’entreprise publique à caractère industriel et commercial à celui de société anonyme. Son capital reste détenu à 84, 48% par l’Etat, mais le leader mondial de l’électricité recherche désormais à maximiser  ses profits, fragilisé par la croisade que mène l’Union Européenne contre les monopoles d’Etat et les services publics. Ce qui avait auparavant été considéré comme une bonne gestion : redistribuer les bénéfices aux usagers en faisant en sorte de ne pas augmenter les prix, est à présent caduc. La recherche effrénée d’économies, le “cost killing” désorganisent le fonctionnement et altèrent jusqu’à la culture de sécurité qui prévalait jusque là.

Les risques sont bien réels. Le nucléaire est une industrie dangereuse et elle ne peut être confiée qu’à des entreprises commerciales. Le manque de transparence de l’entreprise Tepco au Japon est égale à celle des entreprises françaises, Areva ou EDF. L’opacité est de rigueur et le contrôle effectué par les pouvoirs publics est insuffisant. En France, en 2011, un AZF nucléaire n’est pas à exclure.

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Crédits photo: etgeek, carolinadoug, Emmanuel Salomon

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#3 – Les sacrifiés de Fukushima n’appartiennent déjà plus à ce monde

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Image de Une CC Marion Boucharlat, pour OWNI

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