Hey Steve, nous sommes déjà une nation de blogueurs

Le 3 juin 2010

Journaliste, blogueur, co-fondateur de Salon, Scott Rosenberg n'a pas apprécié le point de vue que le patron d'Apple a exprimé sur les blogs lors de la conférence All Things Digital. Il décortique et réfute les sous-entendus de ces propos.

"Les blogs, bouh, les applis iPad des journaux, bien".

"Les blogs, bouh, les applis iPad de la presse, bien"

Examinons les propos de Steve Jobs tenus la nuit dernière pendant son interview lors de la conférence All Things Digital, organisée par le Wall Street Journal : combien d’assertions erronées et fallacieuses nous pouvons en extraire ?

“Je ne veux pas nous voir sombrer dans une nation de blogueurs. Nous avons plus que jamais besoin d’éditorial  en ce moment.”

Déjà, il y a l’assertion condescendante que les blogueurs sont une espèce inférieure. C’est le genre de ressentiment qui émane souvent des natifs des rédactions récemment licenciés, qui blâment les légions de blogueurs pour les problèmes financiers de leurs anciens employeurs.

Mais il est amusant d’entendre ces propos de la part de Steve Jobs, l’ex-rebelle qui semait le désordre dans l’industrie. Jobs a une dent contre la blogosphère tech-news, qui se bat sans répit pour briser la chape de silence qu’il impose à propos des nouveautés d’Apple. Mais son amertume le place du mauvais côté de l’histoire. Les institutions médiatiques qu’il a loué lors de la conférence (New York Times, Washington Post, Wall Street Journal) mènent déjà la charge pour intégrer les blogs.

Il y a ensuite l’idée étrange que les blogs ne sont pas ou ne peuvent pas être “éditoriaux”. Si un éditeur  choisit ce qu’il faut couvrir, alors tout bon blogueur est aussi un éditeur.

Le blogging a placé au rebut le vieux modèle de l’éditing

Si un éditeur corrige et vérifie le sérieux d’un article, alors la plupart des blogueurs disposent d’une armée d’éditeurs : leurs lecteurs. Oui, le blogging a largement placé au rebut le vieux modèle de l’éditing comme travail bureaucratique, ce qui a ses avantages et ses inconvénients. Mais suggérer que les blogs sont d’une manière ou d’une autre mauvais parce qu’ils ne sont pas “éditoriaux” – et que le process d’editing des rédactions traditionnelles garantit un meilleur résultat – trahit une ignorance profonde du fonctionnement réel du journalisme.

Plus important, il y a la croyance implicite de Jobs en deux univers médiatiques incompatibles : l’un dans lequel les blogueurs prospèrent aux dépends des rédactions traditionnelles, l’autre où les médias traditionnels prospèrent alors que les blogueurs sont remis à leur place.

De tels points de vue ont toujours menés à une impasse, a fortiori maintenant. Nous sommes au milieu d’une réinvention à vitesse grand V de l’industrie des news. Au même moment, le journalisme conservateur se dépêche pour trouver comment utiliser ses compétences et traditions pour résister à cette nouvelle réalité. De l’autre côté, une foule de blogueurs imaginatifs et travailleurs expérimentent de nouvelles techniques de journalisme que la technologie a rendu possible. Ce n’est pas la peine de gloser autour d’une nation de bloggers. Nous sommes déjà une nation de bloggers. La seule question qui vaille : comment s’assurer que que nous obtenons les news et les informations dont nous avons besoin maintenant que nous le sommes ?

Considérant tout cela, c’est une honte – quand on évoque les médias – que Jobs, qui exhortait autrefois ses équipes avec un cri de guerre rappelant à quel point il était mieux d’être un pirate que de rejoindre le navire, a clairement choisi de se placer à côté du drapeau.

Initialement publié sur Scott Rosenberg’s Wordyard, traduction Sabine Blanc et Guillaume Ledit ; illustration CC Flickr  Jesus Belzunce

À lire aussi chez Numerama : Steve Jobs soutient la presse pour éviter “une nation de bloggers”

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