Arnaques, crime et journalisme

Le 18 août 2010

Si en France le feuilleton de l'été est l'affaire Woerth avec des infos qui tombent toutes les semaines notamment sur Mediapart, la presse européenne se confronte aussi à la classe politique et aux affaires.

La corruption politique en Europe est (re)devenue le feuilleton de l’été. Confrontés aux révélations colportées par la presse, les gouvernements de la Vielle Europe fustigent voire musèlent un espace médiatique dont ils redoutent l’influence. Toutefois, la tendance est partagée. Si en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Pologne, les enquêtes médiatiques poussent les gouvernements à la démission, en France et en Italie, l’information n’a pas d’odeur.

Informer tue. Surtout quand on s’amourache trop avec les milieux mafieux. Tel un bon vieux pastiche de polar des années 1930, un journaliste grec « qui a dévoilé de nombreuses affaires » selon le quotidien hellène Ta Nea, a été assassiné à l’arme automatique le 19 juillet dernier. D’après les enquêteurs, Sokratis Giolias aurait en réalité été abattu par un groupuscule terroriste nommé « La Secte des révolutionnaires ». La vérité, c’est que le journaliste et blogueur sur Troktiko a payé de sa vie sa curiosité, qui a révélé l’état de corruption dans lequel végète actuellement le gouvernement grec.

La presse met la pression

Mais le fléau ne s’arrête pas aux frontières de la Grèce. Le dernier rapport de l’ONG Transparency International divulgue que la corruption est une pratique qui touche toute l’Europe. Et ce sont la Grèce, l’Italie et l’Espagne qui s’avèrent être les plus touchés. A tel point que le 6 mai dernier, le Parlement européen a adopté une déclaration demandant une politique claire de la part de l’UE envers ce phénomène. Mais sans attendre, ce sont les médias qui ont décidé de mettre en lumière les pratiques de gouvernements souvent trop opaques. Et ce, par les mots. Donc sans sulfateuse…

Le Daily Telegraph a publié des notes de frais scandaleuses faites par les députés britanniques | Dans le best-of, la tondeuse à gazon d’Alan DuncanDès 2009, le travail du Daily Telegraph a permis de révéler un scandale financier sans précédent en Grande-Bretagne qui a abouti à la démission du speaker de la Chambre des communes. A mesure que le quotidien britannique distillait de nouvelles informations, le gouvernement de Gordon Brown sombrait dans la plus basse humiliation politique. En achetant un disque dur contenant les notes de frais de tous les parlementaires britanniques, le Daily Telegraph a démontré que les députés s’étaient fait rembourser jusqu’au papier toilette, à la nourriture pour chats et aux tondeuses à gazon. En utilisant l’argent public. Of course.

17,5 millions d’euros de pot-de-vin

Plus tôt en 2002, les médias polonais ont dévoilé le plus grand scandale de corruption du pays depuis son émancipation postcommuniste. Adam Michnik, le rédacteur en chef du plus influent journal polonais, Gazeta Wyborcza, a décidé de publier en première page le rapprochement un peu trop crapuleux qu’aurait intenté un producteur, Lew Rywin, sur le contenu éditorial de la publication. Rywin propose 17,5 millions d’euros de pot-de-vin à Michnik et déclare agir au nom d’un groupe détenteur du pouvoir, en l’occurrence des gens du SLD (Alliance de la gauche démocratique), le parti de l’opposition. L’information déclenche un tel séisme politique que, pour la première fois en Pologne, une commission d’enquête parlementaire est créée. Ses interrogatoires, publiés en direct sur la télévision polonaise, ont sensibilisé l’opinion publique à la corruption. Désormais, plusieurs politologues avancent que le « Rywingate » a permis de soulever une véritable boite de Pandore, tant les liens criminels de la politique polonaise avec le milieu des affaires et les officines mafieuses sont tenaces.

En Europe, une influence médiatique différenciée

Si les affaires de corruption sont débattues sur la place publique, c’est par l’entregent de la presse. Laquelle a plus ou moins d’impact selon les pays européens. Exemple positif : la presse britannique. L’ancien ministre du Budget David Laws a démissionné du gouvernement dès lors que le (décidément insolent) Daily Telegraph a révélé qu’il avait perçu indûment 40 000 livres, soit environ 47 000 euros, provenant de diverses notes de frais. Encore plus percutant, l’Allemagne, où il a suffit d’une phrase pour que Horst Köhler, l’ancien président de la République Fédérale Allemande, démissionne à mi-mandat. Si une ligne suffit dans la presse allemande, les médias français et italiens ont écrit des livres. Et toujours rien. Même si une once de ras-le-bol commence à poindre…

En Italie, le silence est d’or alors on se tait


Vendredi 11 juin 2010, en Une de La Reppublica, quotidien italien de centre-gauche, un carré jaune sur fond blanc, symbolisant un post-it, porte l’inscription : « La legge- bavaglio nega ai citadini il diritto di essera informati » (« La loi-bâillon nie le droit d’information des citoyens »). Tous les médias nationaux ont fait front contre ce projet de loi initié par Silvio Berlusconi, destiné à sanctionner les journaux qui révèleraient le contenu d’écoutes téléphoniques. Le président du Conseil a bien failli obtenir l’impunité maximale. Mais la presse, en jouant au roi du silence, a drainé un vent d’indignation populaire suffisant pour que le Cavaliere rue et fasse machine arrière.

Trotskistes ou fascistes, la presse désavouée en France

Comme un simple coup de fil franco-italien, ce sont bel et bien les écoutes prises par le majordome de la troisième richesse de France, Liliane Bettencourt, puis publiées par Médiapart, qui ont ébranlé le petit monde politico-médiatique français.

Sans ces écoutes, le site Médiapart n’aurait pas pu avancer que la campagne de Nicolas Sarkozy aurait, selon les révélations de l’enregistrement, été financée de manière détournée. Et la justice n’aurait pas ouvert une enquête. De fait, les politiques, dénudées, se sont arc-boutés dans l’insulte : « Trotskistes », « fascistes » ; la classe dirigeante n’a pas eu de mots assez forts pour qualifier le travail d’investigation des médias. « Ça suffit », a martelé Eric Woerth, lourdement suspecté de conflits d’intérêts entre son précédent poste au ministère du budget et ses relations avec Bettencourt. Et depuis une semaine, la presse française et européenne souligne que le gouvernement joue sur l’affect des Français pour farder « l’Affaire ». Même plus besoin de loi bâillon. En Angleterre, Eric Woerth aurait immédiatement démissionné.

Illustrations CC FlickR : Lawrence OP, Herby Hönigsperger et ~BostonBill~

Illustration Woerth : Toad

Article initialement publié sur cafebabel.fr

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