Faire publier un papier… scientifique

Le 20 avril 2011

Tout comme le journaliste, le scientifique a des contraintes à respecter avant de publier un article. Entre relecture par les pairs et angle validé par la rédaction, petite plongée dans le fonctionnement d'une revue scientifique.

Il y a beaucoup de choses que l’on apprend sur la longueur dans la recherche, avec l’expérience. Mais ce que je trouve tout à fait étonnant, particulièrement dans le paysage français, est qu’on n’apprend pas ou peu les petits trucs pour faire publier un papier. Oh bien sûr, le contenu scientifique reste l’essentiel, mais, même s’il est très codifié et très formel, le processus de revue par les pairs n’a rien d’un processus pur et éthéré, il y a une forte composante humaine qui compte. Oublier cela peut mener un papier à sa perte. Je n’ai pas la prétention de faire la leçon à qui que ce soit, mais voici quelques éléments (largement de bon sens) glanés sur ma propre expérience, en tant que publiant et referee (ndlr: chercheur contacté par une revue scientifique pour lire et commenter les articles proches de son champ de recherche avant la publication), ainsi que sur la base d’observations de mes chefs et collègues très très éminents. Encore une fois, n’hésitez pas à ajouter vos propres conseils ! (et à me dire si vous êtes d’accord ou pas)

Faites relire par vos amis

Le processus de revue par les pairs dans le cadre du journal n’est que la fin de l’histoire, pas le début. Avant de soumettre un papier, il est très important de lui faire subir un cycle de revue informelle par des collègues compétents et des amis. Le genre d’amis qui peuvent vous dire librement si votre papier est bullshit ou si au contraire c’est le papier du siècle. Cela vous aidera à retravailler le papier pour expliquer les points imprécis, et à bien calibrer la revue où le publier.

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De la même façon, il est très important de bien se familiariser avec le réseau plus étendu de collègues à même de lire votre papier. Allez en conf, donnez des séminaires, échangez . Ces collègues sont autant de referees potentiels, on a toujours plus de scrupules à détruire les papiers d’un collègue qu’on trouve sympathique , et parfois les communautés sont si petites qu’on en a vite fait le tour.

Choisissez bien l’éditeur scientifique

Un éditeur a littéralement un pouvoir de vie ou de mort sur un papier. Il peut même parfois passer outre l’avis des referees s’il pense que votre papier a été injustement critiqué. Là encore, tout le côté humain et informel en amont pour connaître les éditeurs est important. J’ai vu des big shots passer carrément des coups de fil à des éditeurs qu’ils connaissaient depuis de nombreuses années pour faire passer des papiers.

Le referee a toujours raison…

Si un referee donne un conseil, faites le maximum pour satisfaire ses envies. D’une part, il se sentira valorisé d’être écouté, d’autre part, cela fera un point de moins critiqué. La dernière chose que vous voulez faire, c’est énerver un referee. J’ai vu des auteurs se tirer littéralement des balles dans le pied et condamner des papiers largement publiables en prenant les referees (en l’occurrence moi) pour des imbéciles. Par exemple, si un referee vous demande de mieux expliquer tel ou tel point, réécrivez toute la partie correspondante, travaillez dessus, montrez de la bonne volonté. Trop souvent, les auteurs se contentent de quelques modifs cosmétiques, histoire de noyer le poisson.

… sauf quand il a tort

Parfois, on n’a pas le choix, il faut se payer un referee pour faire passer un papier. Si un referee est vraiment trop mauvais, vous devez convaincre l’éditeur qu’il ne doit pas tenir compte de son avis. C’est un fusil à un coup. Si ça marche, c’est bingo, si ça ne marche pas, vous pouvez dire adieu à la publication dans ce journal. Ceci doit être fait sur des critères purement scientifiques, ce n’est possible que si le referee a fait la preuve dans sa revue qu’il ne comprenait rien à l’histoire. Ça m’est arrivé une fois dans un papier : un referee a rejeté mon modèle au motif qu’il était linéaire, alors qu’il était tout à fait non linéaire. Le papier, rejeté dès le premier round, a été finalement resoumis et accepté.

Changez de revue

Tout le monde ne sera pas nécessairement d’accord avec ça, mais un point qui me frappe chez certains est leur insistance à vouloir faire passer un papier donné dans une revue donnée. Je peux un peu comprendre quand il s’agit d’une revue majeure (comme Nature ou Science), moins quand il s’agit d’une revue moins prestigieuse. Le processus de revue par les pairs est long et douloureux, et, dans votre carrière vous serez jugés en partie sur votre nombre de papiers (en ce sens, l’intérêt du big shot établi qui veut son Science pourra parfois s’opposer à celui de l’étudiant qui doit publier pour partir au plus vite). Vous ne pouvez pas vous permettre de passer un an à espérer la publication d’un papier dans une revue donnée, avec le risque de vous faire jeter après une longue lutte avec les referees, vous avez votre recherche à faire à côté. Il y a suffisamment de revues pour publier votre recherche, et si elle est de qualité, ça finira bien par passer dans une revue pas trop mauvaise. Bref, si ça sent le roussi et devient trop compliqué, passez à la revue suivante, ou ciblez des stratégies alternatives – type Plos One- et comptez sur le processus de post-peer-review pour valoriser ce papier

Utilisez vos chefs

Particulièrement quand vous êtes étudiant ou post-doc, tout ce processus de réseautage et d’influence ne vous sera pas familier. Ce sera à votre chef de faire ce travail, observez, apprenez, et exploitez-le. C’est une partie importante de son travail, rappelez-lui gentiment.

Utilisez le post-peer-review

La publication n’est pas la fin de l’histoire, faites de la pub pour votre recherche, parlez-en en séminaire, mettez vos publis en valeur, si quelqu’un fait des recherches similaires, vous pouvez même vous permettre de lui envoyer votre papier. Ce processus aidera la publication du prochain !

>> Article initialement publié sur Matières Vivantes.

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