Est-ce que la main invisible étrangle les travailleurs ?

Le 27 avril 2011

Interview de Penny Schantz, déléguée internationale du principal syndicat américain, alors que des manifestations sans précédents ont été organisées dans le Wisconsin et dans tous les États-Unis pour défendre les droits des syndicats.

Billet initialement publié sur OWNI.eu. Tous les liens sont en anglais.

« Prie pour les morts, combats de toutes tes forces pour les vivants. » Mother Jones

146 travailleurs sont morts dans l’incendie de l’usine de la Triangle Shirtwaist. Le directeur a fermé les portes, laissant aux victimes de l’usine le choix entre mourir brûlé ou sauter par les fenêtres. Pour rajouter une couche au drame, l’année précédente, les syndicats avaient essayé d’obtenir des conditions de travail plus sûres, mais les grèves n’avaient pas été soutenues et finalement, ces efforts ont échoué. La catastrophe la plus mortelle de l’histoire de l’industrie aurait pu être évitée si les syndicats avaient été entendu comme ils le méritaient.

Cela se passait le 25 mars 1911. De nos jours, les travailleurs se battent contre la droite, qui est déterminée à endiguer le déficit budgétaire en coupant les avantages de la classe sociale qui a le plus souffert de la crise économique. Pour atteindre ce but, les Républicains s’en prennent à la voix des travailleurs : les syndicats. Plus d’un siècle après, nous nous battons toujours pour les mêmes droits fondamentaux.

Il y a une guerre contre les travailleurs. En 2009, les 5% d’Américains les plus riches possédaient 65% de la richesse du pays pendant qu’à l’autre bout de l’échelle, 80% de la population possédait seulement 12,5% du gâteau. Supprimer les avantages de la classe moyenne n’est pas une solution viable pour résorber le déficit, mais c’est exactement ce que les Républicains essayent de faire.

Le mois dernier, le gouverneur républicain Scott Walker a essayé de supprimer le droit de négocier collectivement des fonctionnaires de l’Etat du Wisconsin, suscitant une indignation que les États-Unis n’avaient pas connue depuis des décennies. Les gens ont envahi la capitale fédérale à l’occasion d’une manifestation pacifique, dans un état d’esprit similaire à celui de la place Tahrir. Alors que les dictateurs du Moyen-Orient tombent un à un sous les appels à la démocratie, les Républicains font ce qu’ils peuvent pour détruire le processus démocratique. Sans un démocrate présent, (tous les démocrates ont fui l’Etat pour éviter que la loi ne soit votée), Scott Walker a fait passer sa loi pour détruire la négociation collective, et affaiblir en fin de compte les syndicats. Alors qu’ils s’étaient fait barrer l’accès au building, les voix de la classe moyenne pouvaient encore se faire entendre dans les murs de la capitale. Cela vous rappelle quelque chose ?

We are one

À la consternation de Walker, l’histoire ne s’est pas finie sur ses actions unilatérales. Depuis le scandale du Wisconsin le 10 mars, les gens sont trouvé l’énergie pour répliquer. Des pétitions demandant la révocation des élus ont commencé à circuler, visant les Républicains du Wisconsin qui ont retiré aux travailleurs le droit de négocier collectivement. Actuellement, assez de signatures ont été collectées pour exiger la révocation du sénateur républicain Dan Kapanke, bien qu’il y ait encore sept républicains visés par la procédure.

Malheureusement, d’autres États emboitent le pas du Wisconsin : L’Ohio vient de signer une loi anti-syndicats draconienne et presque chaque Etat des Etats-Unis a inscrit à son agenda une loi anti-syndicats.

Le 4 avril, l’American Federation of Labor – Congress of Industrial Organizations (AFL-CIO) a aidé à organiser plus d’un millier de rassemblements. La date est particulièrement lourde de sens, puisque c’est l’anniversaire du discours de Martin Luther King « I Have a Dream ». Martin Luther King III explique pourquoi son père aurait soutenu les travailleurs :

Il y 43 ans, mon père, Martin Luther King Jr., était assassiné à Memphis, dans le Tennessee, alors qu’il soutenait une grève des éboueurs municipaux. Cela représentait, dans son esprit, davantage qu’une quête pour quelques dollars de plus sur la paye. Il considérait que la grève faisait partie des grandes batailles de son époque – la lutte pour la démocratie, la vérité, la justice et la dignité humaine.
C’est pour ces mêmes raisons essentielles que mon père se joindrait aujourd’hui à des millions d’autres Américains pour défendre les fonctionnaires du Wisconsin, de l’Ohio, de l’Indiana et d’autres États où la négociation collective fait  maintenant l’objet d’attaques.

Dans tout le pays, des citoyens ordinaires ont montré leur solidarité et fait savoir aux Républicains qu’ils ne laisseraient pas passer ces initiatives anti-syndicats les bras croisés. Est-ce que les efforts du 4 avril seront suffisants pour prouver que la classe des travailleurs est trop grosse pour échouer ?

« J’espère voir plein de gens à City Park, Denver, Colorado. Pour la manifestation MLK1 et le rassemblement syndicaliste. »


« Je traverse le pont de Brooklyn en soutien aux syndicats, pour le droit des travailleurs et l’héritage de MLK ! »

« Faisons-le, Alaska ! 16 h 30 : rassemblements à travers l’État. »

« La seule réponse efficace à l’avidité organisée est le syndicalisme organisé. »

« Le Wisconsin est victime d’une stratégie nationale »

OWNI a contacté Penny Schantz, actuelle déléguée internationale de l’American Federation of Labour and Congress of Industrial Organizations (AFL-CIO), pour évoquer la situation aux États-Unis. Durant trente ans, elle a été présidente de la section locale de Madison, quand la législation qui accordait le droit de négocier collectivement aux chargés d’enseignement a été introduite.

En quoi les manifestations aux États-Unis sont différentes des manifestations en Afrique du Nord ?

Les revendications sont de nature différente. En Égypte et en Tunisie, il s’agit de changements fondamentaux dans la société elle-même. Ce sont des mouvements populaires menés par des gens qui veulent la démocratie et mettre fin à plusieurs décennies de dictature. Ce qui se passe aux États-Unis est une réaction aux initiatives prises par l’aile dure des Républicains, qui s’en prend aux travailleurs du secteur public et à leur droit d’avoir des syndicats.

Le Wisconsin est victime d’une stratégie nationale menée par des hommes politiques qui sont déterminés à récompenser les PDG et les autres donateurs des entreprises qui ont financé les campagnes dans chaque État où ils détiennent le pouvoir politique. La stratégie qu’ils ont adoptée est très bien coordonnée et financée, et elle est soutenue par une énorme machine de propagande. Ils mènent ces initiatives sous couvert de réductions budgétaires.

From Memphis to Madison Rally

Pouvez-vous détailler le fonctionnement de cette propagande de la droite ?

Les Républicains utilisent les réductions budgétaires comme une excuse. Ils essayent de retirer des services pour les familles de travailleurs, et dans le même temps, ils accordent des réductions majeures de taxe aux entreprises et aux riches. Il est donc difficile de croire que c’est vraiment lié à des réductions de budget. Si vous regardez les élections de 2010, et comme nous le savons tous, de larges victoires ont été remportées par beaucoup de candidats du Tea Party -, les contributeurs les plus importants du parti démocrate ont été les syndicats du secteur public. Il ne s’agissait pas que d’argent mais aussi de votes et de bénévoles.

Existe-t-il une relation entre la force et le pouvoir des marchés financiers et la faiblesse de la capacité des syndicats à négocier ?

L’effort concerté des entreprises américaines pour affaiblir les syndicats est un problème majeur. Les syndicats ont été à leur apogée entre la fin de la Seconde Guerre mondiale et le début des années 70. À cette époque, nous avons observé une tentative organisée et très bien financée – malheureusement assez efficace – de retirer le pouvoir aux syndicats et de rendre plus difficile pour les travailleurs d’en former un. En termes de mondialisation et de croissance des marchés financiers, l’attaque contre le mouvement syndicaliste aux États-Unis a précédé les tentatives importantes de globalisation, qui sont elles beaucoup plus récentes.

Les actions unilatérales de Walker ont suscité beaucoup de frustration, mais pas tant que cela en termes de résolution des problèmes. Que suggérez-vous pour que la classe moyenne progresse ?

La classe moyenne peut progresser en s’organisant et en essayant de changer les fondements de la politique. Si les gens travaillent pour quelqu’un d’autre sans être syndiqués, ils devraient alors le faire. Ils devraient obliger les politiques à rendre des comptes. Nous devrions penser les améliorations de la société en se basant sur la création d’emplois décents. Malheureusement la reprise économique que nous avons aux États-Unis, dans la mesure où nous en avons eu une, est une reprise sans emplois. Cela ne sert pas du tout les intérêts de la classe moyenne, de la classe des travailleurs, ou des pauvres.

Quels types de loi aimeriez-vous voir passer aux États-Unis pour améliorer la législation ?

Une avancée majeure serait de faire passer l’Employee Free Choice Act. C’est une loi sur le travail qui autoriserait à avoir un syndicat si la majorité des travailleurs d’un site le désire. C’est aussi simple que cela. Donc si une majorité des employés dit “oui, nous voulons signer des cartes d’autorisation2 et avoir un syndicat”, pourquoi ne pourraient-ils pas avoir des représentants ? Actuellement aux États-Unis, ce n’est pas facile à cause des intimidations des employeurs envers les travailleurs : les délais sont longs pour organiser des élections honnêtes et il existe toute une série d’autres tactiques anti-syndicats.

Traduction Sabine Blanc et Ophelia Noor.

Crédit photo Flickr CC Dave Hoefler et wisaflcio

  1. Martin Luther King []
  2. authorization card, formulaire signée par un salarié pour désigner un syndicat et son représentant. Elle permet à un syndicat de représenter le salarié lors de nagociations collectives []

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