La petite boîte noire des Verts

Le 12 janvier 2012

OWNI a voulu en savoir plus sur une petite association qui facture des prestations de communication à Europe Écologie-Les Verts. Le 27 décembre, la Commission des comptes de campagne a pointé un problème de facturation incomplète dans le parti d'Eva Joly, en relation avec cette structure.

Le 27 décembre dernier, dans son rapport annuel consacré à l’exercice 2010, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a rendu pour Europe Ecologie-Les Verts un avis « sous réserve », après avoir constaté la présence de factures incomplètes adressées à une structure périphérique, l’Association de communication des idées écologistes européennes et régionalistes (Acieer).

Renommée La boîte verte, cette association, dont le parti est propriétaire, a assuré pendant la campagne des régionales de 2010 des « prestations intellectuelles » (selon la formule employée sur les factures) correspondant principalement à des frais de communication mutualisés au niveau national.

Seul problème, les factures ne comportent pas les précisions habituelles, empêchant les vérifications nécessaires au remboursement des frais de campagne. La CNCCFP se défend cependant d’accusation de surfacturation :

Dans le cadre des élections régionales de 2010, nous avons reçu des factures forfaitaires qui ne nous permettaient pas de justifier du détail. Or, si nous n’avons pas la possibilité de connaître à quoi correspond chaque coût, nous ne pouvons savoir si la dépense n’a pas été surévaluée.

Suivant la tradition de mutualisation des dépenses du parti écologiste, Europe Ecologie-Les Verts a centralisé de nombreux coûts à l’occasion des élections régionales, notamment sur les sites Internet, les affiches ou les meetings. Dans la facture de la restructuration du site Internet n’apparaissait par exemple aucun détail sur le coût de révision de la charte graphique ou celui du développement.

D’où les soupçons de certains au sein du parti : sans possibilité de détailler les coûts, comment savoir si la facture n’a pas été gonflée pour rembourser un peu plus que le coût réel et renflouer les caisses du parti ?

Mises en garde

« Pour les européennes, c’était notre premier scrutin important, nous avons fait super gaffe sur les dossiers, se souvient une responsable fédérale. Au moment des régionales, nous avons eu un énorme appel d’air, de gens peu expérimentés en politique, et le parti n’était toujours pas unifié entre Europe Ecologie et les Verts, il régnait donc une certaine confusion. »

Pour clarifier la comptabilité entre les activités du mouvement lui-même (organisation des conventions, encaissement des cotisations, des dons des élus…) et celles facturées aux candidats (impression d’affiches, meetings, etc.), des cadres du parti décident d’utiliser Acieer, une association fondée en 2003. Dans sa nature, l’association vogue dans une zone grise : contrairement aux centres de formation des élus qui sont autorisés par la loi de 1988 sur les partis politiques (comme le Cedis, pour EELV), l’association n’est ni autorisée, ni formellement interdite, comme on nous le confirme au CNCCFP. Intégrée dans l’écosystème d’EELV, elle perpétue la tradition de pratiquer des prix de gros.

Exemple : plutôt que 22 affiches différentes, le design est assuré par un seul prestataire à Paris, lequel crée un canevas repris du Nord Pas-de-Calais à la Corse. Un choix qui ne relève pas seulement de l’optimisation économique pour Alexis Braud, alors en charge des meetings :

La décision d’EELV au niveau national était de faire vingt-deux campagnes régionales dans une campagne nationale. C’était un choix politique de notre part mais qui se traduisait également en terme de structuration technique, d’où la centralisation dans Acieer des différentes prestations de ce type.

Sous l’intitulé un peu flou de « prestations intellectuelles », Acieer émet ainsi des factures globales sous le regard de son bureau, où siègent plusieurs responsables nationaux – dont Mickaël Marie, trésorier national. Dès les premières bordereaux certains responsables régionaux s’inquiétent du manque de détail. L’un d’eux nous confie :

Nous avons vu que la facturation pouvait poser problème avec la Commission. Nous en avons fait part au national mais sans non plus faire de scandales… Nous étions pour la plupart tout juste arrivés en politique, nous ne nous sentions pas la légitimité de remettre en cause les garanties présentées par des cadres présents depuis plusieurs années dans l’organigramme.

Au lendemain des élections, une partie des comptes est retoquée : trop imprécise, elle fait l’objet de réserves de la part de la commission. Laquelle valide des remboursements ponctionnés sur les deniers publics. Côté EELV, les esprits s’échauffent, notamment autour de Pierre Larrouturou ; « nous risquions de ne pas voir remboursées des sommes non négligeables », se souvient un cadre régional. « Toujours pas d’accord » avec le verdict de la CNCCFP, un responsable national, très soucieux de son anonymat, reconnaît l’imprécision des premiers dossiers :

Nous sommes un parti pauvre et, après cette campagne qui a été la plus grosse jamais menée par notre formation, nous n’avons probablement pas assuré le niveau de détail attendu. Mais, dans nos choix, nous avons systématiquement fait à l’économie : pour la charte graphique du site, nous avons privilégié le devis le plus raisonnable. Les grands partis font faire ça par des grandes boîtes de com’ qui ne donnent pas le détail des factures. Nous, nous avons reprécisé par la suite et c’est notre transparence qui nous vaut des reproches ! Je le maintiens : ce que nous avons fait, nous l’avons fait pour bien moins cher qu’un Publicis ou un EuroRSCG l’aurait facturé à un grand parti.

Pour établir le prix de chaque prestation, le CNCCFP a recours à des évaluations basées sur les prix du marché, notamment ceux pratiqués par les grandes agences de communication politique. Selon les responsables d’EELV, les « packages » apparaissant en facture des meetings ou campagne d’affichage qu’elles organisent sont bien plus opaques que les détails présentés pour justifier des dépenses de la campagne des régionales. Un argument qui n’a pas suffit à calmer les inquiétudes en interne.

Aucune sanction

Hugues Bonneville, porteur d’une motion pour la transparence, a apporté au conseil fédéral d’octobre une série de questions sur ces dépenses sans qu’une réponse très claire n’y soit apportée, malgré l’insistance d’autres militants.

Au niveau fédéral néanmoins, les remous provoqués par la révélation de certaines difficultés financières du parti ont donné lieu à la préparation d’un rapport dirigé par Agnès Michel. Il sera présenté au prochain conseil fédéral du parti, les 28 et 29 janvier. Un « Guide des bonnes pratiques budgétaires », où cette responsable de la commission Économie compte lister un certain nombre de conclusion sur les finances d’EELV. Et notamment comment les redresser.

Seulement utile pour mutualiser les campagnes de candidats dispersés sur le territoire, Acieer, désormais appelée La boîte écolo, a été mise dans un tiroir en vue des législatives, la campagne présidentielle étant gérée par le siège. Côté CNCCFP, aucune sanction n’a été prise à l’égard du parti. Mais, comme à son habitude avec les comptes irréguliers, l’institution sera plus vigilante avec les écolos la prochaine fois.

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