Cherche HLM dans le 16ème arrondissement

Le 8 avril 2011

Les logements HLM ne sont pas l'apanage des banlieues dites "sensibles". Dans certains quartiers huppés d'Ile-de-France, habiter un HLM devient presque un luxe qui exclut le candidat lambda. En cause: la saturation du marché immobilier.

Rue Washington dans le 8ème arrondissement de Paris. Nous montons les marches d’un immeuble haussmannien. Moulures, murs blancs, parquet et cheminées dans les chambres, Catherine L. est fière de nous présenter le 4 pièces dans lequel elle vit depuis 5 ans avec son mari et ses deux enfants. Ils payent un loyer de 1.900 euros par mois. Selon l’agence immobilière du coin, le loyer devrait s’élever à 5.500 euros. En entrant dans cet immeuble cossu, la seule chose qui prouve qu’on est bien dans un HLM (habitation à loyer modéré) c’est une plaque cachée derrière un arbre qui indique la date de réhabilitation par Paris-Habitat, l’office HLM qui gère l’immeuble.

Des logements parfaitement intégrés au paysage

Paris-Habitat, l’un des principaux offices HLM de Paris, produit des logements HLM dans les quartiers les plus chers et les plus prisés de la capitale. Non loin de la tour Eiffel, avenue Mozart et avenue Pierre Ier de Serbie, près du café de Flore, rue Bonaparte, et comme ici rue Washington, à deux pas des Champs-Elysées.

Nous visitons un type rare d’appartement: seulement 2% des logements de l’arrondissement sont des HLM. Une fois dans les lieux, les locataires sont tranquilles. Des loyers défiant toute concurrence dans des quartiers très bien situés, ces HLM ont un taux de rotation extrêmement bas, de l’ordre de 4%. Des personnes qui n’ont donc a priori rien à faire dans le parc social y résident toujours.

Quelle que soit l’évolution des occupants, quelle que soit l’évolution de leur structure familiale, il est possible de rester dans l’appartement. C’est «le droit au maintien dans les lieux» expliquent les offices HLM. Même si une famille gagne trois milliards d’euros au loto, elle pourrait rester pendant encore un bon moment. Et le marché immobilier parisien tendu oblige ainsi des familles de classe moyenne supérieures comme celle de Catherine L., à rester dans un HLM.

Bachelard encore locataire d’un HLM ?

Gaston Bachelard, philosophe mort en 1962, était encore enregistré comme locataire il y a deux ans à l’OPAC (Offre Publique d’Aménagement et de Construction) de Paris. Qui vivait dans son appartement ? Un parent de bonne foi selon Paris-Habitat. Il doit continuer à payer le loyer en temps et en heures, il n’y a donc jamais eu de contrôle, rapporte le site Mediapart.fr .

Surtout qu’un locataire, à qui le bailleur demande de quitter son logement parce qu’il ne correspond plus à ses besoins, peut demander à être relogé et sera prioritaire. Un ancien haut fonctionnaire vivait ainsi confortablement depuis 1969 dans un cinq pièces situé dans le 17ème arrondissement de Paris, quand l’office a souhaité récupérer en août 2006 les deux chambres de bonnes attenantes pour en faire un logement.

Comme c’est son droit, il a envoyé à Paris Habitat une demande de compromis. Arguant de son grand âge, il indiquait alors qu’il était prêt à déménager si on lui offrait la possibilité d’occuper un appartement plus central, à condition de garder quatre ou cinq pièces. Il a obtenu un cinq pièces dans le cinquième arrondissement.

Le maintien de plusieurs milliers de familles « riches » dans le parc du logement social a de nouveau fait grincer des dents en novembre 2010, alors que plus d’un million de ménages attendent toujours d’obtenir un toit. Selon une étude de l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale rapportée par La Tribune, « 37.000 ménages parmi les plus riches de France », avec un revenu d’au moins 13.500 euros mensuels pour une famille avec deux enfants, seraient logés dans un HLM en Ile-de-France. « En Ile-de-France, où la situation du logement est très tendue, 207.000 ménages aisés au sens large habitent en HLM… » affirme même Thierry Repentin, président de l’Union sociale pour l’habitat.

12 ans d’attente pour un 4 pièces

« Attendre 12 ans pour obtenir un quatre pièces, c’est une moyenne à Paris. Un candidat lambda n’a aucune chance d’obtenir un HLM » explique Didier Vanoni, sociologue et auteur d’une étude sur l’attribution des logements sociaux pour la revue FORS-recherche sociale. A la mairie de Paris, les 3.420 demandes s’accumulent sur le bureau de l’élu au logement. Chaque année, 15.000 HLM sont attribués pour plus de 110.000 demandeurs.

En 2001, lorsque Bertrand Delanoë arrive à l’Hôtel de Ville, il charge l’élu au logement Jean-Yves Mano de rééquilibrer la production de logements sociaux dans la capitale. A terme, l’ambition affichée de l’équipe Delanoë est de mettre fin à la très forte disparité dans la répartition des HLM sur le territoire communal. Car à l’époque, Paris fait face à une saturation de logements sociaux dans les quartiers populaires (33 % dans le 19ème, 31 % dans le 13ème, 27,6 % dans le 20ème) et une absence remarquée dans les secteurs résidentiels (0,5 % pour le 8ème, 0,7 % pour le 7ème ou 1,6 % dans le 16ème). Or, l’article 55 de la loi SRU (solidarité et renouvellement urbain) du 13 décembre 2000 condamne l’insuffisance des logements pour les plus démunis dans les communes. Les villes pratiquant l’apartheid social sont mises hors la loi.

Comment faire partir les familles installées? Comment les convaincre de quitter leurs meubles, leur voisinage, leur quartier? Pour inciter les locataires très aisés du parc HLM à libérer leur logement au profit de ménages plus nécessiteux, la loi Mobilisation pour le logement de la ministre du logement Christine Boutin entendait augmenter considérablement le supplément de loyer solidarité (SLS) appelé aussi surloyer. Ainsi le locataire payerait proportionnellement plus quand ses ressources augmentent. Le problème c’est que le prix du loyer reste minime par rapport à ce qu’ils paieraient dans le privé.

Selon l’Union sociale pour l’habitat (qui gère les organismes HLM), 7 % des 4,3 millions de personnes qui occupent un HLM ont des revenus excédant le plafond de ressources. 2 % des locataires sociaux gagnent 20 % de plus que le plafond, soit tout de même 86.000 fraudeurs, logés à prix cassés. « Il ne faut pas se leurrer, le surloyer ne fera jamais partir personne. Ils ne voient aucun intérêt à aller dans le privé et préfèrent payer quelques dizaines ou centaines d’euros de plus » confirme Didier Vanoni.

La pression foncière freine l’évolution du parc HLM. Dans les villes comme Paris où le marché est très tendu, les bailleurs récupèrent des bâtiments déjà loués dans lesquels ils appliquent les grilles de loyer de logements HLM. «Les locataires sont heureux car cela améliore la prestation de service dans l’immeuble, là où les copropriétés rendent les moindres travaux de réparation impossibles» souligne Didier Vanoni pour avoir étudié la question avec les bailleurs et avoir travaillé avec Paris Habitat.

Les HLM hébergent l’électorat

Autres locataires de ces logements sociaux particulièrement bien placés : les élus. 5% des HLM sont réservés aux fonctionnaires. En 2007, l’affaire Bolufer avait fait scandale. L’ancien directeur de cabinet de Christine Boutin, louait à la RIVP, une des grandes sociétés HLM de Paris, un bel appartement dans un quartier huppé, pour un loyer très modeste.

Si les élus ne doivent pas dépasser les plafonds non plus, leurs ressources sont calculées sans les indemnités qu’ils touchent, leur permettant un accès au parc HLM malgré des revenus confortables. Georges Tron, secrétaire d’état à la fonction publique, vit ainsi dans un HLM dans le 15ème arrondissement dont le loyer s’élève à 1.990 euros, rapportait le Canard Enchaîné en mars dernier.

Les HLM jouent un rôle politique important pour l’électorat. Jean Yves Mano insiste sur le fait que l’attribution des logements sociaux à Paris est la plus transparente de France. Pourtant, les demandeurs qui sont proches d’un élu ont toutes les chances de voir leur demande aboutir et d’obtenir l’habitation à loyer modéré qu’ils voulaient, à l’adresse souhaitée. Le fils de Georges Marchais n’aurait aucun mal à obtenir un des plus confortables HLM de la ville d’origine de son père en banlieue parisienne, dont la mairie est toujours communiste. « Les proches d’élus obtiennent les logements qu’ils souhaitent, les plus confortables et les mieux placés car leur dossier est traité en priorité lors des commissions d’attribution » nous confirme une personne employée dans un office HLM de banlieue.

Et l’UMP a fait adopter un amendement à la loi Boutin qui concerne les immeubles acquis depuis moins de dix ans par les organismes de HLM ou les sociétés d’économie mixte. Cet amendement vient protéger « les locataires privilégiés » ayant des revenus plus de deux fois supérieurs aux plafonds de ressources donnant droit à un HLM. Ils seraient épargnés par la loi Boutin qui prévoit l’expulsion de ces locataires fortunés au bout de trois ans (sauf s’ils ont plus de 60 ans, sont handicapés ou s’ils habitent en zone urbaine sensible).

Jean-Yves Mano se défend :

Je n’y peux rien si l’attribution des logements n’était pas aussi claire avant 2001, les locataires dont la situation a évolué et qui sont dans leur droit ne sont pas expulsables.

Les logiques d’action des offices publics sont encore étroitement liées aux politiques locales. Dans une grande majorité des cas, le président de l’office n’est autre que l’élu adjoint au logement. Paris-Habitat gère à lui seul 27.000 logements sociaux, soit 22% de l’ensemble des résidences principales de l’agglomération. Son président n’est autre que l’adjoint au maire chargé du logement, Jean-Yves Mano. Les politiques d’attribution jouent donc en faveur des administrés car le locataire est considéré comme un électeur potentiel.

A Neuilly-sur-Seine, qui ne compte que 2,6% de logements sociaux, pour ne pas effrayer l’électorat, la mairie a trouvé l’astuce qui lui permet d’affirmer qu’ils construisent. Ils produisent des PLS, une catégorie de HLM dont les plafonds de revenus sont plus élevés. « Les HLM produits sont des grands logements avec des ascenseurs, des terrasses, un gardien pour que les loyers soient inaccessibles à des familles défavorisées » explique Didier Vanoni. « Les seuls HLM accessibles à des familles dont les revenus ne dépassent pas 60% du SMIC sont à Garges-lès-Gonesse, évitant ainsi à la mairie UMP de Neuilly d’effrayer son électorat ouvertement contre l’arrivée familles défavorisées».

A Neuilly, des HLM réservés aux riches

«En intégrant des logements en accession, dont les locataires peuvent devenir propriétaires, les communes bourgeoises se réservent la possibilité de drainer les “bons pauvres”, ceux qui posent le moins de problèmes d’insertion» explique Michel Pinçon-Charlot, co-auteur des Ghettos du Gotha:

«Les logements HLM les plus récents, les mieux équipés, dont la localisation est la plus attrayante, sont aussi habités par les ménages les moins dépourvus. Le processus de ségrégation est volontiers dénoncé dans une commune populaire où on déplore la concentration des ménages en difficulté, il passe inaperçu dans les villes bourgeoises qui peuvent faire ce qu’il faut en toute discrétion pour rester entre riches.»

Aussi la population des HLM situés dans les quartiers huppés ne se renouvelle pas. Un demandeur qui vient d’un autre arrondissement ou d’une autre ville n’est pas prioritaire ou devra justifier son changement de localité. Quelqu’un qui habite Aubervilliers et qui souhaiterait venir à Neuilly devra justifier son choix et son dossier ne sera pas prioritaire.

«Le logement social était censé permettre de loger des personnes modestes n’ayant pas les capacités financières d’accéder au marché privé. Or, depuis trente ans, le marché immobilier a connu une véritable flambée des prix. Désormais, ce ne sont plus les seules catégories modestes qui sont exclues de l’accès au logement mais aussi les classes moyennes» s’énerve René Dutrey, conseiller de Paris du 14ème arrondissement et Président de l’ADIL (Association Départementale d’information sur le Logement).

« Ce n’est pas la chasse aux sorcières »

A la mairie de Paris, Jean-Yves Mano, aussi président de Paris-Habitat, répète qu’il n’ y a aucun problème. La ville n’a pourtant toujours pas atteint les 20% de logements sociaux prévus par la loi et le nombre d’attribution de logements sociaux est ridicule. Seulement 3.800 nouveaux HLM sont produits chaque année. « La crise du logement ne se résoudra pas en faisant partir les quelques milliers de personnes qui sont au-dessus des plafonds. »

Le départ des locataires de ces logements prisés se fait progressivement. « On est dans une politique incitative, ce n’est pas la chasse aux sorcières, les locataires sont dans leur droit, je ne peux pas les expulser comme le demande la loi Boutin, vous imaginez les retombées que ça aurait, on ne peut pas expulser des gens violemment ». La loi Boutin prévoit notamment que les locataires dont les revenus sont deux fois supérieurs aux plafonds devront quitter leur appartement. En 2009, seuls 250 foyers qui payaient un surloyer ont quitté leur logement HLM et rejoins le marché privé.

« Il faut que les personnes qui gagnent plus de 8.000 euros par mois aillent dans le privé quand elles en ont les moyens.»

Les HLM font pourtant toujours aussi peur aux riverains des beaux quartiers. A Passy, dans le 16ème arrondissement, où le nombre de foyers riches est onze fois supérieur à la moyenne nationale, les riverains ont réussi à mettre en suspens la plupart des constructions de HLM. Pour cela, ils menacent de déposer des recours devant les tribunaux administratifs, voire s’exécutent.

Ces associations d’habitants ne se soucient pas des dizaines de milliers d’euros dépensés en frais judiciaires. Les parcelles, si rares à Paris, demeurent donc à l’état de friches. « Tous les stéréotypes sont à l’œuvre. Les gens pensent que les HLM vont
faire baisser la valeur de leurs appartements, que des familles à problèmes vont venir perturber leur quiétude
» affirme Jean-Yves Mano. Ne sachant pas que dans le quartier, des HLM existent déjà et se sont multipliés dans des logements déjà habités et que cela n’a pas dégradé la vie du quartier, ni fait baisser les prix. Au contraire.

> Illustrations GoogleMap et Guénaël Piaser

> Article publié en partenariat avec

Vous pouvez retrouver l’ensemble du dossier logement avec Les ghettos de riches mettent les pauvres au ban, Se sentir “chez soi” à Paris et Visite guidée d’une studette parisienne

Crédit photo Guillaume Lemoine CC-BY-NC-SA et design par Ophelia

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés